page suivante »
GRAVURES DE LA BIBLIOTHÈQUE COSTE. 393 Rhône, construire une double ligne de quais plus grandioses que ceux qui protègent aujourd'hui la Guillotière ; bâtir un nombre considérable de ponts solides qui fissent communiquer gratuite- ment la ville avec toutes les routes du Dauphiné ; désintéresser, enfin, nombre de gens. La dépense s'élevait à un nombre ef- frayant de millions. Pour les payer, on avait la vente du lit actuel du Rhône, et chiffres en main, l'auteur prétendait qu'en livrant le terrain à moitié de sa valeur, la ville réaliserait peut-être soixante ou quatre-vingt millions de bénéfice net. Un plan fait soigneuse- ment, mais qui avait coûté bien des jours déjeune à l'inventeur, accompagnait une brochure qui n'a peut-être jamais été payée à l'imprimeur. Plan et brochure faisaient pousser les plus vastes éclats de rire à toutes les personnes sensées à qui M. Denonfoux avait le courage de s'adresser. On disait avec beaucoup d'esprit qu'il était non fou mais très-fou. Las de lutter, colportant sa chi- mère, et abandonnant le travail quotidien pour vivre dans le pays des rêves et des illusions, M. Denonfoux est mort, il y a un an, dans le dénuement d'abord, et aussi un peu dans le désespoir, au grand soulagement de ceux qu'il importunait de ses combinai- sons et de ses calculs ; il a succombé sous le poids navrant de la mi- sère et des soucis, rêvant peut-être que ses plans ne seraient pas perdus pour l'avenir, et que dans un siècle ou deux, trois peut- être , vengé comme Salomon de Caux et tant d'autres fous célè- bres, il verrait donà er son nom à quelque nouveau quartier de la ville, ainsi qu'on a Ijlt pour Perrache et pour Morand. Sa femme, sa pauvre veuve, plus malheureuse encore que lui, a été trouvée morte , cette année , dans la rue , et tout le monde a présumé qu'elle avait péri de froid et de faim. S'il eût vécu au jour le jour, s'il n'eût pas fait un rêve babylonien et impossible , il eût donné «• l'aisance à son ménage, le pain à sa compagne; il eut trouvé lui- même le repos de sa vieillesse ; c'est une grande leçon pour les inventeurs. Il faut être un Hercule pour soulever le monde , c'est ce que dira l'inflexible raison; mais aussi, quand Lyon aura cinq ou six cent mille âmes, quand ses nouvelles limites auront éclaté comme un vêtement trop étroit, qu'on se garde bien de mettre à exécution le plan tracé par le pauvre insensé, sans