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468                POÉSIE, AMOUR ET MALICE.

 faisant des factures, m'instruisant du prix des tissus, afin de •
pouvoir moi-même raisonner assez de leur fabrication et les
 vendre à nos acheteurs ; quelle verve poétique n'aurait été
 domptée par ces mercantiles labeurs ! et cependant la mienne
 tint bon et trouva moyen de se faire jour au travers de cette
 épaisse barrière d'intérêts matériels ; je cachais dans mon sous-
main les vers que je composais durant les courts instants ravis
au commerce, mes poches en regorgeaient. Hélas ! qu'on juge
de mon affreuse position ! je n'avais personne à qui les sou-
mettre, aucune galerie qui les jugeât; or, pour un poète, on
concevra la torture infligée par l'impossibilité de produire ses
chants à qui que ce soit ; car, le moyen de les montrer à des
chefs qui, sans nulle sympathie pour mes Å“uvres, auraient
débuté par me gronder et me punir même de les avoir composés !
    Ainsi ballotté entre mes devoirs et mes inclinations, je passai
à Lyon trois des plus belles années de ma vie, des plus ornées
de riants espoirs, des plus remplies de suaves émotions ; et
peut-être même que les entraves mises à mes penchants les
plus chers me valurent quelques succès dans la carrière des
lettres, carrière qui -devait être plus tard la seule roule fleurie
où j'ai trouvé l'aliment le plus vif pour mes plaisirs et le'sou-
lagement le plus réel des maux qui ont assombri ma vie: ainsi
que l'eau conîenue par d'étroites issues jaillit et s'élève dans
les airs, de même mon goût dominant comprimé n'en eut que
plus de forces lorsqu'il m'était donné de pouvoir m'y livrer.
   En 1810 et 1813, Lyon était déjq, la seconde ville de France,
par son étendue, la beauté de ses quais et le nombre de ses
habitants ; le commerce et l'industrie y fleurissaient; plus peut-
être que toutes les autres cités de la France, elle s'enorgueillis-
sait des triomphes de l'empire; elle bouillonnait d'enthousiasme
pour cette ère belliqueuse qui enflammait la magnifique jeunesse
contenue en son sein ; elle professait pour Napoléon 1er une
admiration dévouée et sincère, qui lui valut de la part du héros
sur lequel reposaient alors les destinées de la France, ces
paroles si simples, parties du cœur et devenues si célèbres :
« Lyonnais, je vous aime ! »