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ET VICTOR DE LAPBADE. 211 Cette œuvre que je vous offre, épanouie dans mes larmes, elle est née sous votre sourire, elle a reçu le baptême de vos conseils; c'est votre esprit que j'interroge en l'achevant, car il portait en lui la règle du beau. Une parole de vous suffi- sait pour condamner ou pour absoudre mes actions et mes pensées. Seule au monde avec vous et sans autre écho que votre cœur, ma poésie aurait vécu aussi heureuse d'elle-même qu'avec les suffrages de tout un peuple. En vous, le rayon impersonnel et surhumain avait dissipé tout égoïsme de l'in- telligence et du cœur; et, comme votre esprit s'abdiquait par l'amour en Dieu et dans les hommes, ce n'était plus un seul esprit, mais c'était l'esprit universel et divin qui parlait en vous. Avec vous, j'avais deux consciences ; j'ai perdu la plus vigilante et la plus infaillible. Celte force qui centuplait la mienne, elle m'est retirée à l'heure même où j'aborde les luttes les plus sérieuses de la vie. Et vous ! pour la première fois, vous aviez senti la sainte joie de l'artiste maître enfin de son temps et de son œuvre; vous grandissiez par la liberté ; nous fixions sur vous les yeux avec orgueil, nous tous qui avions rêvé près de vous une si noble existence de travail et d'amitié, et voilà que vous êtes arraché violemment à tous nos projets d'avenir. Ame altérée de Dieu, cette mort vient combler votre soif infinie, mais à nous elle ôte ici-bas nos plus chères espérances de poésie et de vertu. Peut-être avons-nous mérité cette épreuve; mais elle est affreuse, elle ébranlerait notre foi dans l'éternelle bonté! Ne craignez pas cependant, ô mon ami; nous avons appris de vous la patience et le respect aux décrets d'en haut ; nous vous avons vu souffrir ; nous avons vu votre inaltérable douceur aux prises avec ces misères qui aigrissent et rapetis- sent les cœurs faibles, avec ces tentations qui induisent à la révolte les natures énergiques, avec ces déceptions qui inspi- rent à tous les caractères la haine et l'ironie;; et jamais ne