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386 LA REVUE LYONNAISE Tel est l'homme en lui-même, en moi, chez mon semblable, Pygmée ambitieux, arrogant, incapable, Indocile à tout joug, quoique bien mérité, Tout pétri d'ignorance et de témérité. Il est vrai que, inventeur d'une rare méthode, A côté du veau d'or, notre siècle à sa mode S'est dressé de nos jours une divinité, Qu'il affuble d'un nom pompeux : l'Humanité. L'individu n'est rien, sa vie est fugitive : Mais de ces riens il fait l'idole collective Qu'il décore à souhait de beauté, de splendeur, De savoir infini, d'immortelle grandeur ; Puis, ravi de son œuvre, il l'adore, il l'admire, Il lui brûle un encens qu'à Dieu même il retire, Et prétend désormais que nos petits-neveux Portent à ce Baal leurs hymnes et leurs vœux. Eh bien ! j'ai contemplé cette auguste merveille Dont l'éloge importun obsédait mon oreille ; J'ai fouillé les tombeaux où de cent nations Dorment les lois, les mœurs, les générations ; Des temps qui ne sont plus les témoins véridiques Ont évoqué pour moi royaumes, républiques, Cités, peuples fameux, ou passés ou présents, Dont les sages exploits, a travers six mille ans, Forment ce long tissu des fastes de l'histoire. Qu'ai-je trouvé ? Les uns, sous prétexte de gloire, Affrontant javelot, cimeterre ou canon, Suivent aveuglément, fascinés par un nom, Ces dieux, faits comme nous de limon et de cendre, Qui se nomment César, Bonaparte, Alexandre, Et pour leur conquérir un sillon, un ruisseau, Dans la boue et le sang se couchent en monceau.