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252                     LA REVUE LYONNAISE

mûrit sous l'influence de cette double chaleur d'automne, et pro-
duisit cet hymen secret, au moment où il fut indiqué qu'il devait
s'accomplir, tout comme un fruit qui se cueille au temps opportun,
et qu'on avait à peine remarqué dans son premier développement.
Mais si l'histoire est altérée, la fiction dramatique ne manque ni
d'intérêt ni de grandeur.
   Le prologue, dit-on, a paru froid à la représentation. Je n'en ai
pu juger ; mais je le trouve charmant à la lecture. C'est bien ainsi
que je me représente l'intérieur de Scarron. Je retrouve bien là
l'homme bon sans dignité, bouffon par nécessité de situation, exploi-
tant pour vivre l'esprit qui pétillait dans ses saillies, égrillard dans
ses propos, rangé et paternel dans son ménage; et à côté de lui
cette femme supérieure, subissant comme une épreuve et ce mariage
et ces abaissements, pleine de désirs sincères de résignation et
d'élans impétueux de révolte. Elle aime un jeune gentilhomme pro-
testant, Antoine de Méran, et si son austère vertu la préserve de
toute chute, elle ne peut empêcher son esprit de mesurer la distance
d'âge qui la sépare de son mari et d'entrevoir un avenir où la liberté
lui sera rendue. Elle chasse cette pensée comme une odieuse ten-
tation et la caresse comme un doux rêve. Elle donne, comme gage
d'amour, à Antoine de Méran un psautier qui lui vient de ses
ancêtres huguenots, et ce jeune gentilhomme, qui doit servir de
père à un tout petit frère laissé à sa charge, part pour l'Amérique
chercher la fortune et y trouvera la mort.
   Un des vrais mérites du prologue est que Scarron y est fidèlement
dépeint sans y paraître. C'est ainsi que le Tartufe de Molière, invi-
sible et présent pendant les deux premiers actes, nous est connu
sans que nous ayons eu même besoin de l'apercevoir. C'est un
honneur que de rappeler ainsi une des plus admirables conceptions
 de notre grand comique.
   Vingt ans se sont écoulés. La veuve de Scarron, marquise de
Maintenon, se voit recherchée par le grand roi. Elle se sent aimée,
elle aime, ne fût-ce que par orgueil de sa conquête. Son ennemi,
Louvois, fait tout pour rompre le mariage projeté. A ce moment,
elle se trouve en face sinon d'Antoine de Méran, au moins de son