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                   FRANÇOIS COPPÉE ET SES ŒUVRES                     247

la tourmente. La foule n'a pas seulement envahi le palais des rois
et les hôtels des grands seigneurs ; elle a envahi aussi le théâtre où
ils venaient faire parade de leur élégance, affiner leur goûter prendre
leurs plaisirs. Aux spectateurs que le courant tumultueux de la civilisa-
tion moderne renouvelle sans cesse, il faut un autre art. Il ne leur faut
pas les têtes suaves d'un Pérugin, les formes idéalisées par un Raphaël.
Montrez-leur Rembrandt ou Rubens, des beautés charnues, des
scènes pleines de mouvement, l'animation de la rue, le mélange des
races. Attirez leurs yeux sur le cortège des Mages, non moins que
sur le céleste enfant de la crèche, comme dans ces adorations de
Rubens où les chevaux, les chameaux, les serviteurs, les nègres tradi-
tionnels des rois Maures sont faits pour charmer le regard non moins
que les vrais personnages de la scène évangélique. Voilà ce que com-
prend la foule : tel, que la vierge ne touche point, sera séduit par la
gambade du lévrier que l'esclave tient en laisse, et admirera, non
sans raison quand elle est peinte par Rubens, la figure largement
épanouie dans sa laideur sensuelle du nègre qui offre les présents.
C'est ainsi que le drame, avec ses détails familiers, avec ce mélange
du vulgaire et du sublime qui est son idéal, avec cette prédominance
du vulgaire qui est, hélas, sa vie réelle, avec le souci de l'effet subs-
titué à la profondeur de l'observation du cœur, s'impose dans un
âge démocratique. Il arrivait, il régnait déjà quand Victor Hugo, à
grand bruit de fanfares, a signifié son avènement. Mais si les éclats
de la trompette réveillent l'attention, ils ne sont pas nécessairement
la manifestation du génie. L'oubli où sont déjà tombés les trois
quarts des drames de Victor Hugo suffit complètement à le prouver.
    Ce que je cherche surtout vainement, c'est l'école dramatique
créée par Victor Hugo, c'est la postérité de ce glorieux ancêtre. Les
drames ne manquent point en notre siècle. Ils poussent à chaque
saison théâtrale comme les feuilles au printemps: mais ils meurent
 comme elles à l'automne, et on en fait litière comme des feuilles
mortes qui jonchent nos chemins. La grande témérité qui avait con-
 sisté à proférer sur le théâtre quelques mots trop crus, quelques
 termes mal sonnants, n'a pas fait fortune parmi nous. Ce n'était pas
 la peine d'aller dérober à Shakespeare ce qui dépare ses œuvres. Ce