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248                      LA REVUE LYONNAISE

ne sont point les grossières obscénités du portier du château de
Macbeth qui font de l'Å“uvre immortelle de Shakespeare l'une des
plus grandes conceptions dramatiques qui soit au monde. Le peuple
aime qu'on lui.parle un langage plus élevé que ses propos de tous
les jours; et le mélange des grivoiseries de bas étage avec les scènes
qui prétendaient au sublime a passé de mode avec la première
fureur du romantisme. Notre langue a conservé son allure légère-
 ment aristocratique, même en notre temps de démocratie. Le drame^
 une fois arrivé, a fut comme les parvenus. Il a aimé les nobles
 apparences et a visé aux grandes manières.
   Qu'est-ce donc que les meilleurs drames de notre siècle? Parmi les
plus récents, qu'est-ce que la Fille de Roland, de Bornier? Qu'est-ce
que Madame de Mainlenon, de Coppée, ou son beau drame, si pathé-
tique malgré quelques défauts, de Severo Torelli, si ce n'est une
tragédie à l'allure plus libre, dégagée des sévères exigences matérielles
des unités de temps et de lieu, mai:; tout aussi assujettie, à l'unité
d'action et aux vraies tradititions de la scène française que nos
œuvres les plus classiques? En quoi de telles œuvres se réclament-
elles à'Hernani ou de Ruy-Blas plutôt que du Cid ou de Nicomêde,
ces deux tragédies si originales au sein de l'uniformité extérieure de
notre théâtre du xva e siècle ? Où sont les continuateurs des audaces
de Victor Hugo, les héritiers de sa tirade sonore, emphatique,
bruyante comme un tonnerre, et ne laissant pas plus de trace que
le tonnerre après la tempête? On ne tolérerait pas aujourd'hui chez
un débutant les brillantes hyperboles qu'on applaudit par consigne
aux reprises de Ruy-Blas ou à'Hernani. En vain Coppée s'écrie assez
éloquemment à la fin de son éloge:
            Regarde, et souviens-toi de la belle soirée,
            Où, nous pressant autour de ton œuvre admirée,
            Nous pensons la comprendre et l'aimer mieux encor;
            Car ton drame et la gloire ont fait leurs noces d'or.

   Les noces d'or se comprennent quand une nombreuse postérité se
presse autour des époux rajeunis; elles ne sont qu'un mot vide de
sens dans une maison déserte, après cinquante ans d'un hymen
stérile.