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302                     MOREL DE VOLEINE

s'écoula pas inutile; il travailla par ses discours et par ses
exemples à conserver, malgré vents et marées, les tradi-
tions de l'esprit lyonnois, dont il comprenoit le mérite et
les avantages. C'étoit un caractère mélangé de douceur et
de ténacité dans ses opinions; simple dans ses moeurs,
habituellement réfléchi et même taciturne, il avoit proton-
dément médité sur la marche des idées modernes et s'étoit
cramponné avec une sorte de frénésie aux idées d'autrefois,
ce qui fit croire à ses voisins qu'il avoit la cervelle détra-
quée. Cet homme estimable est mort, il y a peu d'années,
et les derniers moments de son existence ont été attristés
par les changements qui s'opèroient dans sa ville chérie et
par la disparition de tous les souvenirs qui lui étoient chers.
Aussi il désiroit la mort, et comme il avoit vécu en chré-
tien, la mort ne lui apparaissoit que comme la fin de ses
épreuves. Pour lui Lyon avoit cessé d'être, du moment où
le langage lyonnois avoit reculé d'une semelle devant l'argot
de Paris. Il ne concevoit pas qu'un Lyonnois pût quitter
sa patrie, terre privilégiée où l'on vivoit si bien, où l'esprit
circuloit franc et prime-sautier, depuis l'atelier des artistes
jusqu'aux comptoirs de la rue Trois-Carreaux et aux postes
des Crocbeleurs. Quitter la mortadelle et Yéchina, le vin de
Sainte-Foy ( i ) et la bière de Koock, le chocolat de Casali,
les bons dîners chez Maire, rue de la Limace, lui paraissoit
une aberration, comme de dire adieu aux promenades
d'été à Rochecardon, à Oullins et au Monl-Cindre, comme
de laisser les flots bleus du Rhône et les fromages du Mont-


   ai) Il existait, en effet, sur ce coteau, renommé au temps jadis, des
vignes produisant un bon vin, un peu dur, mais de conserve. La fumée
des usines à gaz, à teinture et à produits chimiques en ont eu raison,
bien avant l'apparition du Phylloxéra vaslatrix.