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UN ANGLAIS QUI PENSAIT PROFONDÉMENT. 407 de la cuisine. Il vint lui-même nous prévenir que le souper nous attendait ; et nous fûmes bientôt à table. On venait de desservir le potage, quand nous vîmes arriver, sur un plat oblong, un chapelet de petits pelotons charnus, en- roulés dans des feuilles de vigne et suintant le lard fondu ; il ne me fut pas difficile de reeonnaître là une brochée de grives. Mais, à l'absence complète de têtes et de pattes, je compris que le sous-lieutenant avait passé par là , et je m'expliquai la solli- citude qui avait motivé son incursion dans la région des tourne- broches. —Je réclame toute votre attention, messieurs, dit avec solen- nité le digne capucin. Monsieur Jobsthon, voici les grives que vous savez. En me servant de cette expression, je me conforme à l'usage mauriennais et je dis grives pour ne pas affaiblir votre ré- solution. Mais vous êtes itérativement prévenu que lesdites grives se présentent à vous sous un nom d'emprunt. Persistez-vous à leur sujet dans la détermination que vous nous avez fait connaî- tre, et dois-je vous en envoyer une ? M. Jobsthon nous porta du regard un nouveau et fier défi. — Et vô ? dit-il. — Nous n'avons pris aucun engagement, répondis-je. Peut- être votre exemple nous entraînera-1-il ; mais cet exemple, à coup sûr, ce n'est pas nous qui vous le donnerons. Dans, tous les cas, si nous ne sommes pas prêts à le suivre, nous sommes prêts à l'admirer. — Donc, fit l'Anglais, vô convenir, vô ne oser pas. — Nous en convenons. — Envoyer à moâ le petit bête , monsieur à le grand barbe. Et il tendit son assiette au capucin. Le père Mouton, par une prévision qu'il n'est pas besoin d'ex- pliquer, au lieu d'envoyer l'oiseau tout entier, en avait adroite- ment détaché les deux ailes oufilets; il les enveloppa de lard et les passa à l'Anglais sous le couvert d'une feuille de vigne grillotée. M. Jobsthon nous adressa un suprême coup d'œil ; puis, comme le dit Dante du comte Ugolin : t a boeea se leva dal fiero pasto.