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250 UN ANGLAIS QUI PENSAIT PROFONDÉMENT. Au potage succéda un plat dans lequel ondulait une copieuse sauce blanche. L'Anglais le rapprocha de lui, le flaira comme il avait fait du potage, et se retournant vers le garçon : — Grinouïès ? lui dit-il d'un ton et d'un geste interrogatifs. — Sauce de poulet, rnylord, sauce de poulet. — Giourez-vô? — Je le jure ! — Oh! vcry wcll, très-bienn, Irès-bienn. —Et notre homme choisit dans le plat les morceaux à sa convenance, les transborda dans son assiette et se livra sur eux au travail de mastication le plus bruyant, sans s'occuper autrement de nous que si nous n'eussions pas été au monde. • — Il paraît, Monsieur, lui dis-jc, qu'entre les grenouilles et vous il n'y a pas d'accommodement possible, et elles ne sauraient vraiment sous quelle sauce se déguiser, si elles tenaient à s'in- troduire dans votre assiette. — Oh ! yes, yes, je les aimer moâ, terriblement peu, ce petite bête aquatique! Il être bone por les frenchmen, por les fren- chmen, oh ! very wcll ! mais dans le Angleterre roosbeef to- jiours ; grinouïès, pas, oh ! grinouïès jamais pas, goddam ! — Le dîner fut abondant et fort bon. Notre grenouillophobe continua à se faire une part léonine dans chaque mets, mais sans se départir aucunement de son système d'enquête préalable. Je le vis même, au sujet d'un plat d'epinards, prêt à renouveler au garçon la question sacramentelle qui déjà n'avait pas coûté moins de cinq ou six serments à l'infortuné Keller, sans compter ceux du maître d'hôtel. M. de Talleyrand , qui se vantait d'en avoir prêté vingt-deux en sa vie, risquait d'être dépassé en un jour par un simple garçon d'auberge. H. F. A continuer.