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202 LOUISE LABÉ. dans ce vers qui n'est pas assurément le moins intentionné de tout le recueil : Et gardez-vous d'estre plus malheureuses. Quand la vie s'use dans un cercle qui menace de devenir mo- notone, en province par exemple, quand les loisirs qui la parent peuvent être embellis par les exercices d'un esprit ingénieux, le sentiment public s'y associe de grand cœur ; il en résulte toujours un peu de gloire pour le siècle et pour le pays auxquels ces productions se rattachent. Ici, comme par- tout, l'abus touche de près à la jouissance d'un droit légiti- me, sacré, d'un exercice riant, facile, plein de séductions enivrantes. C'est ici qu'il importe de s'expliquer. 11 y a une morale artistique et littéraire comme il y a une morale indi- viduelle et sociale. Nous ne conseillerions à aucune muse, placée dans des conditions sociales moins heureuses que Louise Labé, de se livrer aux distractions poétiques qui font avec raison les délices d'une société élégante et civilisée. Avec la Belle Cordière, la poésie descend des rangs de la noblesse et du clergé dans la bourgeoisie, et nous croyons que Louise Labé est un des premiers exemples en France de cette dérogation aux lois qui présidaient alors au culte de la pensée, à l'exercice de l'intelligence. Il n'y avait pas un poète de la renaissance qui ne fut gentilhomme; il y a plus, jusqu'au XIXe siècle, on trouverait peu d'exemples de poètes sortis des rangs du peuple, Gilbert est un des pre- miers. Avec Louise Labé, nous touchons au temps primitif de la poésie, à l'âge d'or de la pensée. Certes, Louise Labé fut noblement inspirée en écrivant ce vers qui est d'un philosophe plus encore que d'un poète : A faire gain jamais ne me soumis.