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22                SÉJOUR ni<: J . - J .   ROUSSEAU

lermédiaire de noms étrangers; il inventa mille procédés, prit
des mesures inouïes pour tromper la haine de ses ennemis ou
de ses envieux, qui cherchaient à surprendre ses secrets et une
occasion de le perdre à tout jamais.
   Je dois le déclarer, ces persécutions, ces embûches, ces in-
discrétions dont on se rendait coupable envers lui, n'exis-
taient d'une manière réelle que dans son imagination. C'é-
tait chez lui une véritable manie, une maladie. C'est ainsi,
du reste, que le comprenaient les quelques hommes intelli-
gents qui lui étaient sincèrement attachés, qui conservaient
des relations avec lui, pardonnant tous les écarts, toutes les
bizarreries de son esprit tourmenté sans cesse par des crain-
tes le plus souvent chimériques. En vain son ami Dupérou es-
sayait de le calmer, lui démontrant la futilité de ses griefs,
lui conseillant le mépris, sinon l'oubli des injures, vantant le
calme de l'ame qui réagit si heureusement sur l'état physique.
« Vos maximes, répondait Rousseau, sont très stoïques et
très belles, quoique un peu outrées, comme sont celles de Sé-
nèque, et généralement celles de tous ceux qui philosophent
tranquillement dans leur cabinet, sur les malheurs dont ils
sont loin. J'ai appris assurément à n'estimer l'opinion d'au-
trui que ce qu'elle vaut, et je crois savoir, du moins aussi
bien que vous, de combien de choses la paix de l'ame dédom-
mage ; mais que seule elle tient lieu de tout, et rende heu-
reux les infortunés, voilà ce que j'avoue ne pouvoir admettre,
ne pouvant, tant que je suis homme, compter totalement pour
rien la voix de la nature pâtissante, et le cri de l'innocence
avilie. Certaines découvertes amplifiées, peut-être par mon
imagination, m'ont jeté durant plusieurs jours dans une agi-
tation fiévreuse qui m'a fait beaucoup de mal, et qui, tant
qu'elle a duré, m'a empêché de vous répondre. Tout est
calmé, je suis content de moi, et j'espère ne plus cesser de
l'être, puisqu'il ne peut plus rien m'arriver de la part des