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12                SÉJOUR DU J . - J . ROUSSEAU

   « Les rois et les grands ne disent pas ce qu'ils pensent de
moi ; mais ils me traiteront toujours généreusement.
   « La vraie noblesse qui aime la gloire et qui sait que je m'y
connais, m'honore et se lait.
   « Les magistrats me haïssent à cause du tort qu'ils m'ont
fait.
   « Les évoques, fiers de leur naissance et de leur état, m'es-
timent sans me craindre, et s'honorent en me marquant des
égards.
   « Les prêtres, vendus aux philosophes, aboient après moi
pour me faire leur cour.
   « Les chefs du peuple, élevés sur mes épaules, voudraient
me cacher si bien qu'on ne vit qu'eux.
   « Les beaux esprits se vengent en m'insultantde ma supé-
riorité qu'ils sentent.
   « Les auteurs me blâment et me pillent, les fripons me
maudissent, la canaille me hue.
   «Les gens de bien, s'il en existe encore, gémissent^toutbas
de mon sort, et moi je le bénis, s'il peut un jour instruire les
mortels. »
   Ces singulières inscriptions que Rousseau avait tracées dans
sa chambre, furent inexactement copiées par quelques visi-
teurs indiscrets ou mal intentionnés. Rienlôt dénaturées ,
tronquées dans leur composition et dans leur sens, elles cou-
rurent l'Europe entière; publiées, commentées par les jour-
naux, par les feuilles des Encyclopédistes, elles servirent leur
vengeance, excitèrent des haines implacables, donnant lieu à
des interprétations erronées, à des personnalités injurieuses.
   Plusieurs de mes compatriotes, admirateurs de J.-Jacques,
avec lequel ils avaient vécu, s'étaient posés en quelque sorte,
comme les conservateurs de tous les souvenirs qui pouvaient
rappeler le séjour de Rousseau dans nos contrées, aussi plus
d'une fois il m'a été donné d'entendre de leur bouche quel-