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484 PÉLOPONÈSE. tiges de porte pratiquées dans l'enceinte fortifiée, et la fameuse chambre des filles de Prœtus. A voir ces blocs de pierre énormes tournés et retournés par le bras des géants, carrément taillées, habilement superposées et reliées entr'elles par des pierres plus petites introduites dans leurs interstices , l'imagination cherche vainement par quels moyens étranges ou par quelle force hu- maine inconnue à nos débiles générations, elles ont pu être trans- portées d'un lieu à l'autre, et comment, une fois là , le temps lui-même a pu les séparer et les disperser sur le sol, comme il fait de nos frêles habitations. L'ombre d'Hercule, qui naquit à Tirynthe et y fit de longs séjours, plane sur ces ruines, derniers vestiges de la force merveilleuse dont une race d'hommes fut douée à une certaine époque, époque de barbarie et de brutalité, où ces hommes luttaient aveuglément contre les puissances de la nature, satisfaits de surmonter des obstacles après eux insur- montables, et de répandre dans la postérité la crainte et l'éton- nement. Plus tard, les hommes , doués de membres moins ro- bustes, eurent en compensation une intelligence plus haute, un cœur plus élevé, une âme plus ouverte aux conceptions du beau. L'art naquit : ce fut le règne de l'esprit sur la matière. Du sommet des ruines de Tirynthe, on embrasse d'un coup d'œil toute cette belle et florissante Argolide, Nauplie et son gol- fe qui paraît un lac paisible, Argos et sa haute acropole, et My- cènes dans de sombres gorges. On ressent une impression qui ne se peut définir, à ce contraste enfanté par le temps entre la splendeur, la richesse, le tumulte du passé et la solitude, le si- lence des jours présents. La plaine d'Argos, à travers laquelle je m'acheminai en quit- tant Tirynthe, me parut d'une nature forte et vivace, malgré l'état inculte dans lequel elle se trouve. Il ne manque à cette terre ni le soleil qui vivifie, ni l'air qui assainit, ni le ciel pur qui verse de fécondes rosées , mais un bras intelligent et actif pour lui confier des moissons et des fruits. Lorsque le roi Othon vint pour la première fois en Grèce, la plus grande partie de ces terrains sans maître fut concédée aux Bavarois qui l'avaient suivi. Leur présence ne plaisait point aux Grecs, qui ne s'ac-