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86                          TROIS MOIS
d'être neuve et attachante .- il nous donne en premier lieu des
particularités inédites sur trois mois de la vie de Jean-Jacques
Rousseau.
   Ce n'est pas plus l'enthousiasme pour l'écrivain et le philoso-
phe que l'esprit de dénigrement qui inspire M. Ducoin ; on sent
bien qu'il n'est pas fort attiré vers ce fantasque et bizarre person-
nage, mais il reste calme et indifférent, comme il convient d'être,
en disant ce que l'on doit dire, et comme on peut être aujour-
d'hui, à l'égard de Rousseau. C'est un singulier privilège que ce-
lui du génie : il y a de quoi confondre, quand on se retire un ins-
tant dans le sérieux et l'honnêteté de la pensée. Voilà un homme
qui a su, avec des livres, passionner tout un siècle, et qui ne
lui a guère servi que des sophismes, en prenant les airs les plus
solennels ; qui lui a raconté ses turpitudes et ses infamies, en se
donnant pour un parangon de vertu ; qui s'est mêlé d'enseigner
leur devoir aux pères, et qui envoyait à l'hôpital les malheureux
fruits de son libertinage. On a fait quelque chose de cet homme-
là , parce qu'il y a d'admirables couleurs à sa palette, et on lui
a dressé des statues.
   Jean-Jacques, du reste, valait encore mieux, à tout prendre,
que les philosophes ses contemporains ; il était pauvre et croyait
en Dieu ; la plupart des autres étaient riches et athées ; tous, par
exemple, étaient profondément immoraux et abjects.
   Rousseau fut bien , je crois, le plus malheureux et le plus in-
sociable ; il y avait, au fond de ce caractère timide et sauvage, un
 orgueil monstrueux, plein de secrets raffinements, qu'on eût
fort déconcerté , en lui disant son fait. Il aurait fallu à ce cha-
touilleux et sombre amour-propre du philosophe la voix de l'in-
sulteur chargé , dans les ovations romaines, de rappeler les ca-
pitaines triomphateurs au sentiment de leur faible humanité.
Un homme qui eût vivement démasqué Jean-Jacques au ci-
toyen Rousseau, lui eût rendu service, je m'imagine.
   Quoi qu'il en soit, c'est un des traits de l'ombrageuse suscep-
tibilité de l'auteur A'Emile, que M. Ducoin nous détaille dans
un récit agréable et piquant; ce sont trois mois qu'il nous re-
trace de la vie de Jean-Jacques, et l'histoire de ce court espace