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ÉTUDE SUR L'HISTORIEN GIBBON. 377 si jeune et sous l'influence d'un caractère faible, quand elle sera obligée de lutter contre les artifices d'un théologien initié à tous les stratagèmes du sophisme? elle s'affaiblira d'abord, puis elle ne tardera pas à s'éteindre tout-à -fait. Un des biographes de Gibbon (1) attribue la rétractation qui sui- vit ies conférences avec le ministre Pavillard à l'ennui que causait à notre néophyte son ignorance de la langue française, à la mo- dicité de la pension que lui donnait son père, aux privations que lui faisait endurer l'avarice de Mme Pavillard. En butte à ces in- convénients, « il sentit, dit-on, s'amollir la généreuse ardeur avec laquelle il avait espéré d'abord se sacrifier à la cause qu'il embrassait, et chercha de bonne foi des arguments qui pussent le ramener à une croyance moins pénible à soutenir. » Croie qui voudra à une semblable explication ; quant à nous, nous ne comprenons pas que, dans la position où Gibbon était placé, on pût chercher de bonne foi des arguments contre ses convictions, et nous comprenons encore moins que, par la vertu de celui que Gibbon dit avoir découvert par ses propres lumières, il ait pu se rétracter « d'aussi bon cœur et d'aussi bonne foi qu'il avait abjuré dix-huit mois auparavant. » Au reste, laissons à Gibbon lui-même le soin de nous exposer le raisonnement qui amena d'une manière si victorieuse sa contre-conversion: « Je me souviens encore de mon transport solitaire à la découverte d'un argument philosophique contre la doctrine de la transsubstantia- tion ; savoir ; que le texte de l'Ecriture qui semble décider en faveur de la présence réelle, n'est attesté que par un seul sens , la vue ; pendant que la présence réelle elle-même est en opposition avec trois : la vue , le toucher et le goût (2), » tout comme si les mystères de l'ordre surnaturel affectaient les sens. Nous ne saurions admettre qu'un si chétif argument « ait fait évanouir cornue un songe, aux yeux du néophyte, les différents articles du symbole romain. Mais, (1) Noies sur la vie et le caractère Je Gibbon, au commencement de l'édi- tion de l'Histoire de la Décadence, donnée par M. Guizot. (2) Mémoires, page 85.