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268 LES DEUX MUSES. Sois bénie, ô Nature, et reste souveraine ! Toi qui, pour des beautés que rien ne peut flétrir, Me soufflas cette ardeur profonde, mais sereine, La seule dont le cœur n'a jamais à souffrir. Oui, j'ai subi l'amour, j'ai vécu de ses flammes ; Oui, je sais qu'au désert il a mille ornements ; Qu'il agrandit par fois les ailes de nos âmes ; J'ai connu son délire et ses ravissements? Mais quel tumulte, hélas ! la passion déchaîne ! N'es-tu donc rien, Amour, qu'un orage éternel ? Amour, on te dirait toujours mêlé de haine ; Tu t'aigris parmi nous comme un levain mortel ! Oui, le fiel est au fond de ta coupe épuisée, Même quand deux grands cœurs se la versent entr'eux ; Tu n'es que la douleur un instant déguisée, Qui reprend tôt ou tard ses droits sur les heureux. Mais toi, culte paisible, amour de la nature, Tu n'as pas de soupçons, pas de haine à souffler ; L'âme en te respirant se console et s'épure ; Tes pleurs sur notre front tombent sans le brûler. D'un lien éternel quoique tu nous enchaînes Jamais l'injuste ennui n'en alourdit le poids ; Amour doux à porter, comme l'ombre des chênes Dans ces chères prisons que je demande au bois !