Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
394                ÉTUDE SUR L'HISTORIEN GIBBON.
ville, Gibbon sera là pour leur applaudir. N'allez pas objecter
que ces conquérants souillèrent leur victoire par des cruautés
dignes des soldats d'Alaric et de Radagaise ; Gibbon, dans son
impatience, vous répondra « que le carnage se réduisit au mas-
sacre de deux mille Grecs, et qu'on ne peut pas même en accuser
les conquérants (1). » Gibbon a trouvé ce chiffre précieux dans
la narration décharnée d'un chroniqueur du temps ; cela suffit
pour faire tomber à ses yeux le récit de Nicétas, témoin et vic-
time des calamités de cette journée. Du reste, qu'est-ce que deux
mille morts ? « Un accident commun à la guerre, » s'écriera l'his-
torien ; cela mérite-t-il d'être cité ? Maintenant, si le pape Inno-
cent III lui-même fait entendre les accents de l'indignation en
apprenant les déplorables excès des guerriers de la Croix, s'il les
accuse publiquement de n'avoir respecté ni le sexe, ni l'âge, ni
la profession religieuse, Gibbon s'impatientera encore plus fort
et soutiendra, pour donner un démenti aux reproches du chef
de l'Église, que « la capitale de l'orient contenait sans doute un
nombre de beautés vénales ou dociles suffisant pour rassasier
vingt mille pèlerins (2). » C'est là tout ce que la philosophie
saura inspirer à l'historien sur les désastres d'une grande cité.
   Cependant, Constantinople ne se relevé que pour succomber
de nouveau sous les coups d'ennemis autrement redoutables
que la poignée de Francs unis aux Vénitiens ; Mahomet II vient
l'assiéger avec trois cent mille Ottomans. Voici, pour Gibbon,
une belle occasion de manifester quelques généreuses sympathies;
ce sont les derniers instants de l'Empire dont il a écrit l'histoire.
Si, deux siècles auparavant, Byzance ne sut opposer à l'invasion
étrangère que l'anarchie et la lâcheté, cette fois, ses destinées
sont confiées aux mains d'un prince, digne par son patriotisme et
son courage des antiques héros, à la bonne heure. Mais, voyez-
vous ? la force est du côté des Mulsumans, la faiblesse du côté des
Grecs, car il y a ù peine six mille hommes pour défendre les rem-
parts de Constantinople ; c'en est assez. Dès-lors, l'historien phi™


  (1) C. LX.
  (2) C. 1 , \ .