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386 ÉTUDE SUU L'HISTOUIEN GIBBON. sonne, avant lui, n'avait débrouillé les annales de l'humanité avec cet art à la fois savant et simple qui débarrasse le récit de la foule importune des accessoires, et lui prête une vie, un mou- vement qu'il perd lorsqu'on le traîne sur la route monotone des dates, des hégires ou des indictions. Ce qui frappe ensuite, c'est l'immense variété de faits que l'historien a su réunir dans des cadres naturellement restreints. Guerres, politique, législation, gouvernement, religion, théo- logie, philosophie, arts, sciences, littérature, poésie, rien n'est oublié, et tous ces divers points sont exposés sinon avec une égale supériorité, toujours du moins avec érudition. Aussi, malgré ses erreurs, Gibbon n'est-il point un écrivain qu'il soit permis de dédaigner ; il y a quelque chose chez lui d'un certain poids qui fait autorité. Nous avons, en France, un livre que l'on peut comparer à la Décadence et à la Chute de l'Empire romain, c'est l'Histoire du Bas-Empire par Lebeau. L'œuvre de notre compatriote est loin d'être dépourvue de mérite. Nous dirons mieux : sous le point de vue moral, religieux, pour ce qui est de l'exactitude his- torique, {'Histoire du Bas-Empire est préférable à l'Histoire de la Décadence. Mais, dans l'ensemble, l'œuvre de Lebeau est de beaucoup inférieure à celle de Gibbon. Lebeau est un savant studieux, intelligent, consciencieux, qui prend la peine de puiser les faits aux sources ; c'est un philosophe chrétien qui respecte la grande ligne des principes, ne sait point faire de concessions à l'erreur, juge sainement et avec impartialité ; c'est un écrivain élégant, dont la phrase se déploie avec une certaine ampleur, quelquefois avec majesté. Mais c'est un rhéteur plutôt qu'un narrateur, un annaliste plutôt qu'un historien ; ses études, quoique sérieuses, ne sont point vastes ; il ne remonte pas aux causes et n'a aucune vue générale. 11 se contente d'écrire des biogra- phies d'empereurs; la vie sociale, le mouvement intellectuel, moral de l'époque où ils vécurent lui sont inconnus : ce qui fait que l'Histoire du Bas-Empire, malgré un nombre double de volumes, offre moins de faits instructifs que l'Histoire de la Décadence.