Revue du Lyonnais » série 2 - n°5 ( 1852 ) » pp.297

                        JACQUES LISFRANC.                       29/
 mune à tous, Lisfranc fut chargé de remplacer, à ce poste im-
portant , ce praticien regretté. Investi du service chirurgical de
la Pitié , Lisfranc, par sa parole ardente et son profond dia-
 gnostic, attira sans cesse la foule.
    Pendant près de trente ans, l'hôpital fut desservi par lui avec
 un zèle si constant que l'administration a ordonné que son
 buste en marbre y fût inauguré. L'anglais Hunter avait dit « que
 guérir au prix d'un organe utile ou d'un membre, c'est mentir
 à son art, puisque c'est mutiler avec danger de mort ce qu'il
 eût fallu sauver intégralement. » Or, bien qu'opérateur d'une
 hardiesse et d'une habileté sans exemple, Lisfranc s'était fait une
loi de ne pas mentir à son art. L'idée principale de Lisfranc,
 celle qui surgit dans tous ses ouvrages, dans son enseignement
clinique et dans ses causeries habituelles, c'est l'alliance de la
Médecine et de la Chirurgie. Ce n'était donc qu'à la dernière
 extrémité, et pour ainsi dire qu'à son corps défendant, qu'il opé-
rait ; toujours avant, les ressources de l'hygiène et de la thérapeu-
tique avaient été mises en œuvre. Ses pansements étaient exé-
cutés avec un soin religieux. Il épargnait aux malades les douleurs,
 les mutilations et les cicatrices. Ses travaux et les beaux succès
qu'il obtenait venaient à l'appui de cette consolante idée que si la
chirurgie est brillante quand elle opère, elle l'est encore bien
davantage lorsque, par un moyen plus doux, elle obtient la gué-
 rison des malades. A la guerre, l'humanité veut qu'aux prises
avec l'ennemi on procède de même. L'habileté le veut égale-
ment. La vierge de Vaucouleurs triomphait sans effusion de
 sang. Vaincre avec le moins de destruction et d'effusion de sang
possible, c'est donner à la victoire une palme de plus, et Lis-
franc , qui aurait pu être un sabreur habile, un brillant Murât,
faisait, pour parler comme lui, la guerre du grand Fabius. Il
s'appliquait à dompter le mal, à triompher de l'ennemi sans
coup férir, en le réduisant non seulement à l'impossibilité de
nuire, mais encore à l'obligation de mettre bas les armes.
   Cela seul suffirait pour rendre chère la mémoire de Lisfranc.
Hélas ! comme on en finit promptement et comme on se met à
l'aise avec une chose incommode, en s'en séparant par le fer