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296                     JACQUES LISF1UNC.
être que, muni de ces titres, il aurait peu à faire, et que, le ciel
l'aidant, il devait peu s'aider. Toujours est-il qu'il eut des échecs
qui réveillèrent en lui ses courroux et de vives explosions de dé-
pit qu'on aimerait à ne pas rencontrer dans sa vie. Mais le lion
s'était senti blessé. Il avait reçu le coup de pied non pas de l'âne,
mais d'êtres qu'on ne croyait pas assez terribles pour lui dispu-
ter une proie légitime. Lisfranc s'irritait dans le concours; il
ignorait l'art de se modérer et de se dominer, comme il excellait
dans cet art pour les opérations. Il vouait de suite ses rivaux aux
gémonies, ce qu'il était loin de faire jamais pour ses pauvres ma-
lades. Blandin et Augus te Bérard le supplantèrent pour le profes-
sorat; à l'Institut on lui préféra Breschet, Lallemand etVelpeau.
On sait que Blandin et Velpeau étaient assez souvent l'objet
de ses sarcasmes : Blandiri, Blandior, Vile peau étaient pour
lui des jeux malins encore plus insolites qu'insultants, dont on
s'est peut-être trop souvenu.
    On a su gré à M. de Chabrol de l'avoir nommé sans concours,
et pour prix d'une heureuse cure, chirurgien des hôpitaux. La
coptroverse en public, de sa part pleine d'amertume pour ses
compétiteurs et même pour ses juges, lui rendait le succès im-
possible, l'écueil infaillible. — Cette fatalité, il la devait encore
à rémission d'idées avancées et nouvelles, heurtant de front
l'expérience des siècles, et qu'il cherchait à faire prédominer
 sur des convictions fortement opposées, sur l'esprit de système.
    Sa supériorité, quant à son art, rapprochée de son infériorité
quant à ses disputes du concours, fait contraste. Au milieu du
sang versé et quels que fussent les cris du patient, il restait calme,
judicieux, maître de lui et presque toujours du péril. Aux luttes
inaugurales, aux argumentations ouvertes dans ces luttes, Lis-
franc ne se possédait plus. Il est vrai que ce n'était pas l'astu-
 cieux spadassin qui spécule moins sur sa force que sur l'impré-
voyance de l'ennemi, fi négligeait les feintes et frappait à deux
mains.
    A la mort de Béclard, dont la fin fut pleurée par les deux
 écoles, et aux funérailles duquel, quoique étudiant en droit,
 nous nous empressâmes d'accourir, tant cette perte était com-