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458 ALFRED DE MUSSET. début vulgaire. Il était facile de voir que ce qui appartenait en propre à l'auteur, c'étaient moins tous ces défauts, empruntés à l'école nouvelle, qu'une certaine vérité de sentiment qui écla- tait par intervalle et se dégageait des boursouflures de l'œuvre. Çà et là se rencontraient des vers d'une singulière trempe, tran- chants comme l'acier, vifs comme l'éclair. Ce n'était encore, si vous le voulez, qu'un jeu d'escrime, mais l'acteur qui tenait l'épée avait une goutte de sang sur le bras. On tressaillait. Cela suffisait pour le faire remarquer au milieu de la mêlée roman- tique. Jusqu'à lui, en effet, la poésie du commencement du siècle, emportée par un lyrisme imperturbable, n'était pas encore des- cendue des deux. C'était à qui se suspendrait à cette merveil- leuse escarpolette, attachée par Lamartine à deux étoiles, et se balancerait dans l'impalpable azur. Sous prétexte que Chateau- briand avait restauré le sentiment de l'infini dans l'art, l'infini se fourrait partout. La moindre élégie en était saturée, les son- nets étaient de vraies larmes de séraphins. Glycôre et Philis, spiritualisées par la poésie., n'apparaissaient plits que dans les nuages pour bénir leurs adorateurs et être bénies par eux. A la jalousie, au soupçon, à la plainte, au désespoir, à ce thème douloureux et charmant, commenté par tous les poètes, de- puis Théocrite jusqu'à Pétrarque, depuis Tibulle jusqu'à Ron- sard, avait succédé le thème nouveau d'une sempiternelle et béate mélancolie. Les artistes même, enrôlés sous la bannière de Victor Hugo, malgré leur tempérament moins spiritualiste, ne révolutionnaient que la forme, ils respectaient le fond. Ils chan- taient la même chanson sur un autre air, pour emprunter une locution célèbre en politique. N'est-il pas remarquable, en effet, que de toutes les pièces inspirées par l'amour à Victor Hugo ou à Lamartine, pas une seule ne trahit le côté orageux du cœur; nul souffle ne ride leurs pages paisibles, ne trouble leur en- chantement. Heureux temps que celui-là ! heureux Eden ! Si ce mot de Jean-Paul est vrai que le pinceau de la poésie ly- rique ne saurait être tenu par une main où bat le pouls fébrile de la passion, il faut reconnaître que la poésie lyrique en France,