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ALFRED DE MUSSET. 459 de 1820 à 1830, a dû toucher à son apogée, car nulle part la passion ne s'y montre. Que ce soit l'éternel honneur de Chateaubriand et de Lamar- tine d'avoir, à la suite de Rousseau et de Bernardin de Saint- Pierre, complété et rajeuni l'esprit français en y ajoutant le sentiment de l'infini ; qu'après le XVIIIe siècle, sa philosophie et sa révolution, ce fût un besoin pour le cœur de l'homme d'aller se rafraîchir aux sources divines, nous n'y voulons pas contredire et ce n'est pas de notre bouche que sortira cette iro- nique parole de Faust à Méphistophélès : tu m'envoies dans le vide pour que mon art et ma force s'augmentent! Non; qu'on nous accorde seulement que le cœur humain comporte d'autres sentiments et l'on aura la raison du succès de M. de Musset. Plus on y regarde, en effet, plus on se convainct que, dans l'ensemble de la poésie de ce temps, il représente la passion. Elle n'est que, chez lui, éclatante, lumineuse, pleine de séduc- tion. D'autres, comme Lamartine, par exemple, ont plus d'âme, mais nul n'a, au même degré que- lui, la passion, la vie; nul ne rencontre des vers plus vrais. Nul n'est plus humain dans sa manière de sentir. C'est pourquoi on a dit avec raison qu'il était le poète des jeunes gens et des femmes. Notre littérature a été de tout temps très-pauvre en vers d'amour, car on ne peut pas donner ce nom aux erotiques pro- ductions de Parny ou de Bertin. Les élégies d'André Chénier, si remarquables d'ailleurs, ne sont qu'un écho de l'élégie la- tine, c'est l'amour païen, déjà épurée par l'art, il est vrai, qui brûle dans les vers du chantre de Camille, mais, c'est toujours la flamme antique. Avec M. de Musset, nous sommes dans un autre monde, dans un ordre de sentiment évidement supérieur. 11 ne prend pas sans doute l'amour comme une échelle d'or qui doit l'aider à gravir la spirale infinie; la femme n'est pas pour lui un miroir mystique où il est appelé à contempler l'image plus parfaite de la divinité. S'il verse des larmes ce n'est pas uniquement parce qu'il se sent trop loin de Dieu , de l'idéal, parce que l'infini l'oppresse. Non, ses souffrances ont une cause plus humaine, il souffre, il gémit, il s'indigne, parce qu'il a été