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460 ALFRED DE MUSSET. trompé, honni, abandonné; c'est l'histoire de tout le monde et de tous les siècles, c'es l'éternel poème du cœur qu'il refait à sa manière. Mais que de choses il y ajoute à ce poème éter- nel ! relisez les Quatre nuits, la Lettre à Lamartine qui sontpeut être les morceaux où le poète se résume le mieux. Aile?, l'étu- dier là . L'humain et le divin s'y font équilibre dans une juste mesure, c'est élevé et vivant. Ce n'est pas la chair seulement qui crie, c'est aussi le cœur. Le poète se relève par ses souffrances, il s'est rasséréné dans les larmes. Meurtri, vaincu, il est plus grand. Il émeut le lecteur et en même temps il le moralise. Suprême triomphe du poète ! La voie douloureuse de l'amour le mène même jusqu'au christianisme : Tu le sens pris le cœur d'un caprice Je femme , Et lu dis qu'il se brise à force de souffrir. Tu demandes à Dieu de soulager ton amc, Ton âme esl immortelle et ton cœur va guérir. Que dirais-je? certaines strophes semblent palpiter sous vos yeux, comme l'oiseau blessé et tiède encore, dans la main du chasseur qui vient de le ramasser. Toutefois, si M. de Musset est vrai dans les douleurs qu'il ex- prime, et surtout plus vrai que la plupart de ses contemporains, ses douleurs n'en sont pas moins empreintes de cette exagération particulière à notre siècle. Comme René, comme Werther, comme Byron, il a l'idolâtrie de ses souffrances. Pareil aux saints des légendes du moyen-âge, qui en se roulant dans les épines y se- maient des fleurs nées de leur sang, quel poète aujourd'hui ne se délecte de ses propres tortures et ne tire vanité de son mar- tyre. Plus grands sont les désespoirs, plus grand est l'orgueil. Ah ! ma blessure, ma chère blessure ! s'écrie quelque part M. Alfred de Musset. Lafontaine avait déjà dit ; La douleur est toujours moins forte que la plainte. Toujours un peu de faste entre parmi les pleurs. Majestueux dans René, hautain dans Byron, dévorant dans Werther, rongeur dans Obermann, le désespoir chez M. de Musset