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372                   MOLIÈRE, ÉLÈVE DE GASSENDI.
travaux de son maître sur la philosophie d'Épicure. Un autre
des disciples de Gassendi, Hénault, poète anacréontique, avait
 aussi entrepris une traduction en vers de Lucrèce. De la traduc-
tion d'Hénault, il n'est resté que l'invocation à Vénus, l'auteur,
avant de mourir l'ayant fait jeter au feu par scrupule religieux.
La perte de la traduction de Molière est sans doute beaucoup plus
digne de regrets. Il n'en reste que quelques vers piquants du
Misanthrope, sur l'illusion qui fait voir tout en beau aux amants
dans l'objet aimé, imités d'un passage du IVe livre de Lucrè-
ce (ï). Mais Molière a porté aussi dans ses comédies l'esprit phi-
losophique de Gassendi. Il nous y fait rire à la fois aux dépens
d'Àristote et de Descartes. Il couvre de ridicule ces péripatéticiens
fanatiques qui appelaient à grands cris au secours d'Àristote
les magistrats et les lois. 11 se moque de la scholastique en homme
qui la connaît. 11 n'épargne pas davantage Descartes et son école.
Le doute méthodique, l'autorité du témoignage des sens niée, la

             (r) Et l'on voit les amants vanter toujours leur chois.
               Jamais leur passion n'y voit rien de blâmable,
               E t dans l'objet aimé tout leur devient aimable,
               Ils comptent les défauts pour des perfections,
               Et savent y donner de favorables noms
               La pâte est aux jasmins en blancheur comparable;
               La noire à faire peur une brune adorable;
               La   maigre a de la taille et de la liberté ;
               La   grasse est dans Son port pleine de majesté; etc.
                                  MISANTHROPE, acte H, scène V.
   Voici ce que dit Grimarest de cette traduction : «Il avait traduit presque
foui Lucrèce, et il aurait achevé ce travail, sans un malheur qui arriva à
son ouvrage. Un de ses domestiques à qui il avait ordonné de mettre sa
perruque sous le papier, prit un cahier de si traduction pour faire des pa-
pillottes. Molière qui était facile à s'indigner fut si piqué de la destinée
de son cahier de traduction que, dans sa colère, il jeta sur le champ le
reste au feu. A. mesure qu'il y avait travaillé, il avait lu son ouvrage à
M. Rohault, qui en avait été très-satisfait, comme il l'a témoigné à plusieurs
personnes. Pour donner plus dégoût à sa traduction, Molière avait rendu
en prose toutes les matières philosophiques , et il avait mis en vers les
belles descriptions de Lucrèce. » (Mémoires sur la vie de Molière, en tête
de l'édition d'Aimé Martin).