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                              À. BRISEUX.                        127
lations qui ont suivi le mouvement des temps, l'ignoble côtoie
le raffiné ; il y a réellement, par les habitudes, de basses classes.
Il n'y a rien de bas dans la vie primitive ; Achille peut dépecer
lui-même ses viandes, il n'aura jamais l'allure d'un garçon bou-
cher. Pour mettre de la distinction et du style dans les mœurs
 barbares, il n'est pas besoin de faire du roman. En Bretagne,
comme le dit M. Brizeux lui-même dans une de ses préfaces,
la poésie est partout sans que le roman soit nulle part.
   Les Bretons ne sont donc pas un roman; c'est un poème dont les
héros sont des paysans, des paysans très-réels, avec leurs noms,
leurs costumes, leurs travaux et leurs mœurs de tous les jours, et
cependant c'est un poème qui appartient pleinement au genre
épique. Ce n'est pas l'épopée militaire, religieuse, c'est l'épopée
rustique ; c'est bien là, dans une donnée particulière, le ton, le
style, le mouvement de l'épopée. Les bergers de Virgile, ceux
de Théocrite, même, sont déjà trop des bergers d'académie, ils
ne nous rendent pas le côté primitif des mœurs rustiques. Les
paysans bretons pris au naturel tiennent plus des mœurs d'Ho-
mère que des conventions pastorales. Les guerres de Vendée
en ont montré le côté héroïque. Sans efforts, sans système, et
probablement sans y songer, M. Brizeux, par sa manière de ra-
conter et de peindre, se rattache à cette forme simple, brève et
nette des tableaux homériques. Son épisode des Lutteurs, un des
chefs-d'œuvre de notre école moderne, nous reporte en pleine
poésie grecque. La phrase poétique de M. Brizeux est courte,
plus pittoresque que musicale, et par là mieux appropriée au
récit, à la forme épique, que celle de la plupart de nos poètes.
La concision du tour et la franchise des arêtes lui donne sou-
vent le relief de la sculpture. Les Bretons abondent en fragments
dignes de la poésie antique. Nous ne résistons pas au plaisir
de citer un passage, non comme plus saillant, mais comme
adapté à l'espace dont nous disposons :

      L'été, lorsque du ciel tombe enfin la nuit fraîche,
      Les bestiaux tout le jour retenus dans la crèche,
      Vont errer librement au pied des verts coteaux ;
      Ils suivent pas à pas les longs détours des eaux,