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                     FRANÇOIS COPPEE ET SES ŒUVRES                           24}

 par les déclamations verbeuses où l'on réhabilite, à grand effort de
tirades, les sentiments les moins faits pour être justifiés, n'était
guère fait pour goûter cette sorte de tournoi, où chaque coup que
porte le plus fort champion excite son cœur à- la clémence et le
conduit finalement à désarmer. Ce qu'il y a de délicat et d'un peu
subtil dans cette analyse est plutôt fait pour la lecture. A la scène,
on est surtout frappé de l'absence d'action, et moins séduit par
l'impression de mélancolie profonde qui se dégage de ces vers.
    Les deux oeuvres vraiment charmantes de ce premier théâtre sont
le Rendez-vous et le Luthier de Crémone; elles sont bien supérieures au
patriotique dialogue intitulé Fais ce que dois et au drame quelque
peu déclamatoire de Y Abandonnée, ( i ) Le Rendez-vous, c'est l'idée
déjà entrevue dans le Passant, comprise et développée comme elle
l'eût été en notre xvn c siècle. C'est l'histoire d'une tentation, d'une
aventure, telle qu'elle peut se présenter à deux cœurs qui ont un
instant de faiblesse, mais à qui il suffit d'avoir entrevu le précipice
pour se rejeter vivement sur le droit sentier. Tous deux traversent
un instant de crise, mais pour aboutir à un choix qui sera définitif.
Les deux âmes sortent de cette épreuve raffermies et désormais plus
fières et plus hautes. Une impression saine se dégage de ce dialogue;
il s'élève, sans s'en douter peut-être, à cet idéal si souvent cherché, si
rarement atteint, du théâtre moral. Il y touche, bien entendu, sans
tomber dans la rhétorique sermonneuse des drames qui tiennent école
de vertu. Les répliques sont vives, les plaisanteries fines; une réelle
bonne humeur circule d'un bout à l'autre de cette petite pièce. La
scène, placée dans un atelier d'artiste, y est bien dans son milieu.
Seulement la porte est close, et on a chassé d'avance l'odieux rapin
qui serait tenté de faire une caricature dès qu'il voit qu'on s'attendrit.
C'est en tête de cette jolie étude, qu'à la place du poète, j'aurais mis
la touchante dédicace à sa mère qui précède les Deux Douleurs.
    Le Luthier de Crémone est encore supérieur. C'est une idylle et un



  (1) On doit aussi une mention à une jolie petite comédie en vers, le Trésor, qui a
un grand charme de franche gaîté et de saine morale.