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144 LA RliVUE LYONNAISE les plus rapides à la marquise Renée de Grindes et au chevalier Gustave d'Embrée, sa grand'tante et son grand-oncle, que ni ses parents ni lui n'ont jamais vus, et qui vivent, inconnus au reste de la famille, en pleine province, au fond du Jura, dans le château de Grindes, à Montmirey, près de Dôle. Georges est désolé. Il regrette ses vacances perdues. Il croit voir déjà la vieille résidence isolée, morne, silencieuse, lugubre, véritable tombeau pour un Saint-Cyrien de dix-neuf ans, avide de plaisirs et d'amour. Les valets portent une livrée noire et blanche, qui les fait ressembler à des catafalques. Le vestibule est nu et glacé. Le salon est immense. Les meubles, rares et de formes surannées, sont recou- verts de housses. Une épinette occupe le fond. Sur la muraille, au- dessus du canapé, la marquise est peinte en Chloris, à la mode de 1830. Les deux vieillards cacochymes ne sortent pas d'une chambre jaune, fanée depuis vingt ans, où ils grelottent, au coin du feu, au mois d'août. Tous deux sont secs, parcheminés, toussent, crachent, clignotent, chevrotent. La marquise, ficelée dans un fourreau noir, tricotte, courbée en deux, comme une parque, dans un fauteuil jaune à oreillettes. Le chevalier flotte dans une houppelande puce. Georges est condamné à végéter trente jours, peut-être soixante, entre ces deux squelettes. Il devra écouter leurs éternels radotages; partager leurs soupes et leurs hachis; lire, en leur compagnie, les Contes de Berquin, la Vie dévote et le Manuel du parfait cuisinier. Il s'attend à mourir d'ennui, au bout de la première semaine. A Dijon, il y a vingt minutes d'arrêt et changement de voitures. Georges -déjeune, s'attarde. Il voit tout à coup le train s'ébranler et partir. Il se précipite, saute sur le marche-pieds, ouvre la première portière dont la poignée se trouve à portée de sa main, et entre... Il se trouve dans le compartiment des « dames seules. » Il y a une « dame » dans le compartiment, et elle est « seule, » en effet. Georges, tout en s'excusant, s'aperçoit que sa compagne de route est jeune, jolie et charmante. La conversation s'engage, devient presque intime. A Dôle, la voyageuse monte dans un panier, qui l'attend à la gare, et disparaît. Georges prend un berlingot, et gagne péniblement Montmirey avec ses bagages.