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ANDRE D CHENIER
       E


            A AIMÉ VINGTRINIER



         OUR la foule ignorante un mort est peu de chose.
          Pour les partis en proie aux sourds déchirements
 Un génie emporté par la mort, pour leur cause,
 Ne suscite en leur cœur ni larmes, ni tourments.
 La nuit qui les entoure, à jamais éternelle,
 Comme un bandeau d'airain presse leur front pâli,
 Leurs yeux, d'où ne luira jamais nulle étincelle
 Eclairant le passé, bien mal enseveli;
 Car ce passé debout, comme un nouveau Lazare,
 Radieux dans le jour des fiers ressuscites,
 Rejette ses liens qu'il délie et sépare
 Sous vos mornes regards, peuples épouvantés !

 Ainsi le doux Chénier, innocente victime
 Des maux dont nos aïeux inconnus ont souffert,
 Expiant sa naissance et son grand nom,... son crime!
 Nous apparaît, le front orné du laurier vert.
 Son nom, comme un écho venu des monts antiques
 Où la Muse immortelle assemble ses élus,
 Résonne dans nos cœurs aux transports héroïques
 Nous emportant, parfois, vers ceux qui ne sont plus.
 Sa lyre, dans les cieux lointains baignés d'aurore,
 Répète ses accents parvenus jusqu'à nous.
 La nuit les dit au jour ; le jour les dit encore
 A la nuit; et saisis, nous plions les genoux.
 Dans les vastes cités où la foule s'assemble,
 Dans les hameaux épars sur le penchant des monts,
 Dans les bois où le nid craintif palpite et tremble,
 Partout où l'on se hait, partout où nous aimons,