Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
348                       l'OÉSIE.


               LE CO^ AV             "PIED.
 De la sombre élégie amoureux doctrinaires,
 Qui peignez sottement des maux imaginaires,
 Qui, sans cesse à l'affût des terrestres douleurs,
 Gourmandez notre joie et provoquez nos pleurs ,
 Pourquoi, dans les sujets qu'effleura votre lyre,
 N'avoir pas, de nos pieds, déploré le martyre ?
 Pourquoi ne souffler mot d'un pauvre malheureux
 Que ses cors font marcher ainsi que sur des Å“ufs ?
 Voilà bien cependant cette nature vraie
 Dont vous nous étalez chaque jour une plaie;
 Voilà des maux réels ; faut-il les délaisser,
 Alors que pour les voir on n'a qu'à se baisser ?

  Tout le monde en effet n'a pas une maîtresse
  Qui lui soit infidèle ou fasse la tigresse ;
  Tout le monde n'a pas des poumons attaqués,
  Des os perçant la chair, des membres efflanqués ;
  Tout le monde n'a pas le dédain de la vie,
  Ou le goût décidé de la mélancolie.
  Mais, hélas ! que de gens peuvent, sans grands efforts,
  Peindre au tendre lecteur la dureté des cors !
  Moi, je suis de ce nombre, et puisqu'il est de mode
  De mettre ses douleurs dans la strophe d'une ode,
  Je grimpe en clopinant sur le divin trépied,
  Et veux, la lyre en main, chanter mon cor au pied.

  Ah qu'il m'a fait souffrir depuis que j'intercède
  Pour que la médecine y porte un sûr remède!
  Dans un espace immense il se trouve à l'étroit.
  (Il est à mon pied gauche et sur le petit doigt ).
  Au plus chétif caillou qui s'offre à sa rencontre,
  Tout un ciel étoile devant mes yeux se montre;
  D'éviter ce tourment je ne garde l'espoir
  Qu'alors que j'ai foulé les dalles d'un trottoir.