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418                   LA R E V U E LYONNAISE
alors?.. » La dispute s'échauffa, comme il arrive généralement en
pareille circonstance, et grâce surtout à un habitué de tripot, qui se
faisait passer pour un ancien militaire, parlait haut, buvait sec, et
posait en moniteur des jeunes gens à former.
    Une provocation en règle s'en suivit, malgré tous mes efforts pour
la prévenir. Un de ces jeunes gens me choisit pour témoin, l'autre
pria le « moniteur » d'être à sa disposition. Je n'acceptai comme on
peut le croire, que pour amener une réconciliation définitive ; mais
mon collègue se montrait inflexible: « Vous comprenez, capitaine,
combien l'affaire est grave... De pareils démentis! en public!
 que dirait-on de vous, que dirait-on de moi, si les adversaires n'al-
laient pas sur le terrain? Je n'oserais plus me montrer en société.
 Sur l'honneur je ne vois pas le moyen d'éviter une rencontre...
 Tenez, en 1842, lorsque j'eus mon cinquième duel, un duel qui a
 fait quelque bruit, on voulait faire étalage préparatoire d'humani-
 tarisme, de sensiblerie, enfin de bêtises. Pour lors... »
     Je laissai là cette brute, et me rendis à l'hôtel où logeait l'adver-
 saire de « mon jeune homme ». Il avait vingt-cinq ans environ, une
 figure franche et sympathique, avec un soupçon de crânerie pour-
 tant qui me donna d'abord quelque inquiétude. La conversation
 s'engagea d'une façon un peu embarrassée. L'autre témoin était
 absent ; j'avais l'air d'oublier que mon rôle en son absence était
 extraparlementaire,         je balbutiais des phrases sentimentales.
 L'interlocuteur me regardait avec des yeux où se peignait le plus
  vif étonnement. Bref, et n'y pouvant plus tenir : « Monsieur, lui
  dis-je, vous ne vous battrez pas ; c'est impossible, foi de capi-
  taine Valette. — Impossible! et pourquoi? — Parce que... —
  Parce que?... —Parce que le duel est souvent cause d'un malheur
  irréparable... — Belle phrase, Monsieur ; mais la question d'hon-
  neur, le soin de la réputation,.. — La question d'honneur, jeune
  homme? Eh bien je vais vous dire une chose ; mais promettez-moi,
 jurez-moi, de ne la répéter à personne. Je n'ai jamais eu qu'un
  duel, à X., et... j'y ai tué le meilleur de mes amis... Je don-
 nerais ma vie pour lui rendre la sienne, mais, hélas ! c'est impos-
  sible... Vous refuserez-vous maintenant à la réconciliation que je1
 propose, et pour arrhes de laquelle je vous tends la main? —
 Non, capitaine, non, assurément. Arrangez l'affaire pour le mieux,