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                 SOUVENIRS D,E PONDIGHÉRY                         47
les poitrinaires d'Européen automne. Les lymphatiques deviennent
nerveux, lesnerveux irritables, les irritables enragés et les enra-
gés mordent.
    Le supplice se complique de mirages où passent des pelouses
vertes, des fontaines fraîches, des vitres diamantees de givre, des
toits blancs déneige et toutes sortes d'irritantes images devant les-
quelles on tire la langue comme un épagneul aux abois. Ajoutez
enfin que les damnés de Pondichéry sont condamnés à la rôtissoire
cellulaire, ce qui est pour le plus grand nombre une terrible ag-
gravation de peine. Dans ma maison assez vaste pour contenir
tous les amis que j'ai laissés en France, je n'ai que deux chattes
blanches, toutes blanches, avec des yeux verts et des oreilles ro-
ses. Elles montent parfois jusqu'à mon épaule ; dans leurs prunel-
les sablées d'or semble luire un regard presque humain et comme
l'éclair rapide d'une pensée; mais leurs gueules s'ouvrent et lais-
sant échapper un bâillement des moins surnaturels. Elles ont faim
tout simplement : j'ai pris un appétit pour une pensée, je suis bien
décidément seul         à bas les bêtes !
    Une fois par semaine, le canon du port, le seul que les traités
de 1815 nous aient laissé, annonce l'arrivée des courriers d'Euro-
pe, un des rares événements qui tirent les habitants de leur tor-
peur, et rident pour un instant la surface profondément calme de
leur existence. C'est surtout en exil que l'inconnu caché dans les
 plis d'une lettre fait battre le cœur. Tantôt un ami parle du passé
 commun, tantôt une vieille maîtresse remplit quatre pages de ses
 regrets pour avoir l'occasion de réclamer en post-scriptum une
 peau de tigre ou un châle de l'Inde. Mais ii n'y a pas que des jours
 de fête, souvent le courrier n'apporte rien et parfois ce qu'il ap-
 porte est presque rien. Il peut arriver, il arrive qu'en déchirant
 fiévreusement une enveloppe dont l'écriture vous fait rêver, vous
 tombiez simplement sur une petite facture de tailleur ou de bot-
 tier.
    C'est ainsi qu'on regrette son rêve et son battement de cœur et
 qu'on murmure in petto cet aphorisme lugubre : Quand tous les
 amis ont fini d'oublier, les créanciers se souviennent encore.
    Dans son ouvrage sur l'Inde, M. de Warren consacre à Pondi-
 chéry quatre lignes pleines d'enthousiasme. C'est, dit-il, une verte