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322                  LA REVUE LYONNAISE
frappe l'œil rond du provincial en bordée, le petit théâtre, le
Grand-Café, la fille des Folies-Bergère et du Skating. Tout
cela, surface, je le répète, bagatelle de la porte, amusette à
l'usage de l'étranger qui paye. Bientôt, l'estomac délabré, la
sacoche vide, le baron de Gondremark se réabonnera à la vertu,
et calomniera entre deux tisanes une Babylone dont il n'a ramassé
que la boue, un Océan dont il n'a essuyé que l'écume. Ce que nous
voulons, nous, c'est l'âme de ce grand corps dont tant de gens ne
touchent que les difformités; ce sont les passions qui l'obsèdent,
les faiblesses qui l'énervent, les efforts qui le relèvent, les convoi-
tises qui le hantent. Auberge de l'Europe, rendez-vous de tous les
jouisseurs, remède de tous les ennuis et de tous les spleens, Paris
 a d'autres fonctions. Dans cette enceinte ouverte aux folies cosmo-
 polites, des bras peinent, des cerveaux pensent, des âmes souffrent.
 Là où l'exotique ne voit qu'un carnaval, l'ambition veille, l'amour
 chante, le labeur soulève son marteau. Là plus qu'ailleurs la mi-
 sère est navrante, la richesse insolente ; le plaisir a une poésie
 spéciale, un entraînement singulier. Là le superbe coudoie l'hum-
 ble, le génie la sottise, et l'argent taché jaillit en éclaboussures
 qu'on ne se donne pas la peine de brosser. Un pays extraordinaire,
 qui demande un peintre extraordinaire. Balzac fut ce peintre, et,
 après Balzac, nous n'avons guère encouragé que des élèves.
   Etre un élève, un bon élève, c'est encore de la gloire, et je n'of-
fusquerai pas outre mesure M. Alphonse Daudet en disant qu'il
ambitionne cette gloire. Balzac couvrait un grand mur de fresques
immortelles. M. Daudet confectionne de charmants lableaux fort
goûtés, fort payés, ce dont je le félicite. La Porte-St-Martin en-
caisse des recettes avec les oripeaux de la Biche au bois. P o u r -
quoi un auteur opportuniste ne se créerait-il pas d'honnêtes res-
sources par une réalité largement saupoudrée de fantaisie? Le plat
est à la mode. Pour le rédiger, poivre et sel se trouvent sous la
main du chef. Un peu d'imagination découvrira bien le lièvre.
Sautez et servez chaud.
   Mais une rumeur bourdonne autour de Roumestan. A en croire
les caquets littéraires, Numa a la prétention de personnifier une
 province. Dieu veuille que les cancans ne nous leurrent pas d'une
espérance illusoire; car, s'ils ont raison, nous allons assister à un