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CHRONIQUE THEATRALE. 531 sa personne les détails bas et répugnants de l'existence, conserver plus longtemps l'amour de son mari : L'office maternel qu'elle s'est réservé, C'est de gâter l'enfant... par d'autres mains lavé. Ces deux vers et la tirade où ils sont enchâssés obtiennent toujours à la représentation un bon accueil du public ; la critique a été unanime à les relever en les citant avec éloge, et nous devons d'autant mieux croire qu'ils expriment la pensée intime de l'auteur que Philippe et Hubert ne trouvent rien à répondre, ce qui équivaut de leur part à un acquiesce- ment. Or, cette morale est loin d'être irréprochable ; elle a cette fausse apparence de délicatesse raffinée et efféminée, qui est caractéristique de notre temps ; et ce qui me paraît significatif, ce n'est pas que l'auteur se soit trompé, car cela arrive à tout le monde c'est que l'état de nos mœurs soit tel que cet enseignement y réponde et ne soulève aucune objection. L'auteur d'Emile, Jean-Jacques Rousseau, à la fin du dernier siècle, ne pensait pas comme M. E. Augier, et, sur ce point-là , je suis de l'avis de Rousseau. L'office maternel ne se dédouble pas : il est fait de plaisirs et de devoirs. En rejetant ceux-ci pour ne garder que ceux-là , la mère pas plus que l'épouse ne grandit. Il faut plaindre la femme qui s'imagine décheoir dans le cœur de son mari parce qu'elle lave son enfant, et qui, raisonnant à la façon de Mme Huguet, tient moins à èlrc estimée qu'à cire aimée. Entre époux, ces distinctions sont inadmissibles ; elles blessent !c sens moral. La comédie de M. Augier me fournirait matière à bon nombre d'ob- servations de ce genre, mais je craindrais d'être long, et je m'arrête. Ce qui lui manque, en somme, c'est une plus grande élévation d'idées et de sentiments, de l'émotion, un certain frémissement de passion large et généreuse, ce superflu d'âme enfin dont parle JVImc de Staël, apanage de la jeunesse, et qu'on eût aimé à retrouver dans une pièce écrite à son inten- tion. La pièce est froide d'un bout à l'autre, et quand, au cinquième acte le poète cherche à l'animer tout à coup en invoquant la nature , le prinlemps en fleurs, l'été radieux, les bois pleins d'ombre et de mousse, où rit la tourterelle, il tombe dans le faux. Personne ne se laisse prendre à cette couleur lyrique étendue par couches, de place en place, et suivant des procédés fort connus. Cet abus de la phrase ne témoigne que d'une chose : l'impuissance où sont aujourd'hui les poètes de pouvoir faire parler à la passion un langage vrai et simple ; et c'est pourquoi à tout propos, ils recourent aux arbres, au soleil, aux prés verts, au ciel bleu, et font danser toute la création dans leurs vers. C'est à regretter la sécheresse du XVIIIe siècle. Laissez la nature et revenez à l'homme ; car, en toute œuvre