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116                       DE L'OISIVETÉ
 mandé où était son drapeau. Pendant que les uns le voyaient
toujours sur le sol de la France et entre les mains de ceux
 qui occupaient le pouvoir, d'autres le cherchaient dans l'exil,
près des familles violemment dépossédées. On devine sans
peine quelle confusion est résultée de ces interprétations di-
verses et combien l'idée de patrie s'est affaiblie parmi nous,
parce qu'elle n'avait pas aux yeux de tous un sens unique
 et rigoureux.
    Cette idée vit cependant puissante au fond des cœurs, et
il suffit de quelque grand événement pour la faire surgir
avec toute sa puissance native. Lorsque naguère notre armée
entreprenait, à plus de huit cents lieues de nous,un siège
périlleux, dans un climat insalubre, au milieu des froids de
l'hiver et en présence d'un ennemi formidable ; lorsque dans
cette armée qui courait tant de périls et qui devait acquérir
tant de gloire, chacun voyait des frères, des parents, des
Français, personne ne se demandait où était la patrie ; cha-
cun la voyait où se trouvaient les périls, les épreuves et
la gloire des enfants de la France. Les subtilités et les
divisions qu'avaient laissées parmi nous les révolutions suc-
cessives s'effaçaient dans une pensée commune.
   Rappelons-nous les sentiments- qui nous animaient alors ;
et uniquement préoccupés du désir de concourir au bien et
a l'honneur de notre pays, travaillons a la servir dans quel-
que rang que nous soyons placés : ceux dont la position
native est médiocre, en faisant marcher de front l'utilité
publique et l'amélioration de leur sort ; ceux qui ont reçu
beaucoup de biens, en agissant avec plus d'indépendance
personnelle, mais avec un zèle non moins ardent et non
moins fructueux.
   Alors s'évanouiront tous les sophismes qui nous font en-
trevoir l'avancement des uns dans l'inaction des autres, la
fortune des premiers dans le malheur des seconds. La
patrie nous apparaîtra comme une mère, qui n'a d'intérêt ni
a la ruine, ni h l'humiliation d'aucun de ses enfants, qui s'ho-
 nore des services et des talents de chacun, et qui ambitionne
indistinctement pour tous le succès et l'élévation.

                                         Àmédée BONNET.