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148 DON JUAN. ces étranges et dangereux livres d'Obermann , de Lélia ; théories qui au premieraspect peuvent surprendre ou même séduire, mais qui aboutissent nécessairement a la négation de l'art et de la littérature, puisqu'elles réhabilitent et glori- fient les nouveaux excès qui étouffent bien vite toute inspi- ration, puisqu'elles prennent pour le sceau du génie ce qui est fatalement destiné a l'anéantir. Sous mille formes diver- ses, ces idées se sont répandues dans la critique et ont in- fecté le roman. La prose, comme la poésie, s'est faite leur exacte et rigoureuse interprète ; je n'en veux d'autre preuve que cette phrase, que je détache entre mille des œuvres d'une femme justement célèbre : « Je croirais assez a une gradation de forces dans les affections successives d'une âme qui se livre ingénument comme la mienne. Je n'ai ja- mais travaillé mon imagination pour animer ou rallumer en moi le sentiment qui n'y était pas encore ou celui qui n'y était plus ; je ne me suis jamais imposé l'amour comme un devoir, la constance comme un rôle ; quand j'ai senti l'amour s'éteindre, je l'ai dit sans honte et sans remords, et j'ai obéi à la Providence qui m'attirait ailleurs. » Rien n'y manque, ni l'affectation mensongère d'un sentiment élevé, ni la fausse couleur religieuse, ni l'erreur de la doctrine. Ces théories vivent autour de nous ; maladroitement co- piées sur les écarts de quelques grands esprits, elles peu- plent de ridicules génies incompris les bas-fonds de la litté- rature. L'amour simple et naturel des lettres , tel qu'on le pratiquait au HVile siècle, est devenu pour un grand nombre une chimère surannée. Toute croyance amoindrit l'esprit qui l'accepte, comprime sa liberté, paralyse à jamais son essor. Prodiguer le dédain à tout ce que le vulgaire estime, faire parade de vaines souffrances morales et gloire de son scep- ticisme, placer le sublime dans quelques boutades déclama- toires, et la morale dans l'émancipation des instincts et la réhabilitation des sens; prendre en pitié ceux qui, accep- tant franchement leur siècle, ont la faiblesse de travailler à le rendre meilleur; voila le plus sûr chemin de l'immorta- lité. Et comme à toute doctrine il faut un héros, un modèle, on a évoqué de l'Espagne la vieille ombre de Don Juan ; on lui a prêté une philosophie, a lui qui vécut au jour le jour dans ses passions jusqu'au moment où il fut saisi par la terri- ble et inexorable statue. Son spectre nous est apparu, mais comme l'ombre du vieux héros Troyen, quantum mutatus ab Mo Hectore. Tirso de Molina ne le reconnaîtrait plus, et