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EN PROVINCE. 39b — Je veux en venir à ceci : que je suis le mari de la fauvette ! reprit le jaloux sur le diapason le plus formidable de sa voix de basse. C'est assez vous dire la réparation que je viens vous demander, à laquelle j'ai droit et que j'attends depuis deux ans. Voici mes témoins, choisissez les vôtres. Ludovic croyait faire un rêve. En effet, dans tout ceci il y avait pour lui un imbroglio indéchiffrable. Et comme il était ab- sorbé dans la recherche du mot de cette énigme : — J'espère, dit l'homme à qui la colère montait au front, j'es- père que monsieur Ludovic de Coulanges ne joindra pas à l'in- dignité de l'offense la lâcheté d'un refus de réparation. Cette froide apostrophe rendit au jeune homme toute son énergie. Il avait signé les vers , il devait en accepter les conséquences quelles qu'elles fussent. — Je vous écoute, monsieur, dit-il, parlez. — Je suis l'offensé... j'ai le droit de choisir les armes. — Choisissez, monsieur. — Je prendrai le fleuret. — Soit. Et le lieu du rendez-vous ? — Au rond-point du petit bois, à trois heures. — Il suffit. Je ne nie ferai point attendre. Les choses ainsi réglées, on se sépara. Resté seul dans sa chambre, Ludovic réfléchit à cette scène étrange. Le journal qui contenait la première édition de la fable, l'édition sans signature , lui était par hasard tombé un jour sous la main. Dans un mouvement de petite vanité littéraire , et pour se rendre agréable à la jeune et jolie débutante, il s'était approprié l'œuvre d'autrui. C'était une faiblesse , une faute. Ludovic ne le comprenait que trop bien à cette heure ; mais enfin il n'avait point offensé cet homme ; il demeu- rait à plus de cent cinquante lieues de la ville où se trouvait alors la prima donna, et jamais il n'avait mis les pieds dans cette ville. Rien ne lui était donc plus facile que d'invoquer et de prouver l'alibi pour désarmer l'Othcllo de mari qui venait le provoquer en duel. Mais pour cela il eût fallu reconnaître sa