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320 NAPLES. de grand homme ou de grand monstre ! A Naples, au contraire, l'âme semble devenir la servante des sens. On ne pense pas, on respire ! Qu'importent le passé, l'avenir? Sait-on s'il y a quelque part des révolutions, des douleurs ou des larmes ? Pourvu que la mer soit belle, le ciel pur, les roses fleuries, les citronniers parfumés, tout est pour le mieux dans le monde. Le peuple vit pour rien sur cette terre de délices. Dans ces derniers temps de cherté de vivres, de disette presque par tout le reste de l'Eu- rope, l'Italie méridionale nageait dans l'abondance. A Naples aussi, comme dans les États-Romains, pas de travail forcé, écra- sant, pas de prolétariat en un mot. Le plus pauvre prend sa tasse d'excellent café le matin, sa glace le soir, le pain est blanc, les fruits délicieux; toutes ces choses sont peu coûteuses, et une nourriture lourde et substantielle nuirait à la santé dans ces chauds climats. Le Romain et le Napolitain savourent en- suite chacun à leur manière les douceurs du far-niente, l'un en évoquant ses antiques grandeurs, l'autre en savourant les char- mes du présent. Et pourtant cette population gaie, enjouée , heureuse, vraiment la plus heureuse de la terre, probablement, au point de vue matériel, et si insouciante, si rieuse, devient belle et s'ennoblit sous les armes. Moi, Française, et les compa- gnons de voyage qui m'entouraient, Français aussi, c'est-à -dire très-difficiles en fait d'armée, avons remarqué la bonne tenue, l'équipement irréprochable, la précision des mouvements des nombreux régiments napolitains que nous avons vu si souvent défiler, ou se livrer à leurs exercices militaires. Mêlé à leur musique, le fifre fait retentir ses gais refrains et semble la note du pays ajoutée à la fanfare guerrière. Le hasard nous a plusieurs fois mis en contact avec des officiers de divers grades ; j'ai été frappée de leur politesse exquise, de leur gracieuse courtoisie. II en est que je m'obstinais à prendre pour des compatriotes, dans mes préventions en faveur de mon pays ! Rien ne me plaisait aussi, dans mes promenades au Pausilippe, comme d'y rencon- trer tour à tour divers membres de la nombreuse famille royale, à pied, en voiture, sans appareil, sans signe distinclif, mais re- connus, salués par la foule avec amour, surtout par les classes