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S32                     CHRONIQUE THÉÂTRALE.

d'art, quelle qu'elle soit, l'homme se cherche, et la nature même ne l'in-
téresse que quand il s'y retrouve.
    Le style de M. Augier comporte plusieurs nuances ; sa qualité la plus
précieuse est d'être dans son ensemble très-souple, familier, naturelle-
ment clair, spirituel et élégant. C'est un vers excellent pour la comédiCj
car avec ce vers on peut tout dire ; il est plus malléable que la prose. Mais,
par moments, il se glisse dans le style de M. Augier des réminiscences et
des imitations archaïques : à côté de vers marques à sa manière ordinaire,
on en rencontre quelques-uns d'une facture ancienne, d'une couleur un
peu crue, visant à la concision, des plaisanteries et des locutions em-
pruntées au vieux répertoire ; plus loin, et c'est surtout ce qui fait tache
dans le tissu de ce style, des préciosités, des mièvreries alambiquées, des
fadeurs à peine intelligibles. En voici un exemple, c'est Philippe qui parle,
et de sa jeunesse, bien entendu :
            Oui, je mets au tombeau ma jeunesse hlèmie ;
            Mais comme Juliette elle n'est qu'endormie,
            Et son sommeil de plomb la garde à Roméo.
                                . . Je parle à mon écho ;
            Qu'il porte mon message à l'oreille inquiète
            De quiconque prendrait le deuil de Juliette.
            Roméo, s'il existe, en fera son profil,
n'est-ce pas là du marivaudage d'une espèce particulière, le marivau-
dage pittoresque, le marivaudage d'imagination, pire que celui de l'esprit?
    Les pièces littéraires comme La Jeunesse ne font jamais de l'argent; c'est
précisément pour cela qu'il faut louer les directions qui n'hésitent pas à les
monter, et les acteurs qui prennent la peine d'en charger leur mémoire.
La pièce a, du reste, été jouée avec beaucoup d'ensemble et d'intelligence.
M. Bondois y a fait preuve de son aptitude à dessiner un rôle et à le rendre
vivant. Mme Daubrun a parfaitement compris que le caractère de Mme Hu-
guet devait être plutôt adouci que renforce ; ce rôle, joué par une actrice
vieille et laide, serait insupportable. Mmc Daubrun l'a sauvé. Quant à
M"e Lobry, chacune des qualités qu'elle possède ne suffirait peut-être
pas, prise à part, à la mettre en pleine évidence, mais ces qualités, bien
 équilibrées l'une par l'autre, se fondent dans un tout harmonieux, gra-
 cieux, distingué. Ajoutez que M"e Lobry se surveille avec soin, qu'elle
 soigne les détails, comme tous les acteurs qui ont passé sur les scènes
parisiennes, qu'elle rachète par une diction bien étudiée ce que son
 organe laisse à désirer sous le rapport de la force, et vous vous expliquerez
 l'accueil sympathique que cette actrice est accoutumée à rencontrer auprès
du public.                                                J. TISSEUR.