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172 BIBLIOGRAPHIE. ou qui avaient déjà paru dans diverses Revues. Ce recueil con- tient, on le sait, un beau poème antique, Eleusis et un poème moderne, Hermîa, œuvre d'une imagination si rêveuse, d'une fantaisie si originale. Jamais peut-être, jusqu'à la naissance de ce poème, le sentiment de la nature n'avait été interprêté de cette manière. On éprouve, en le lisant, je ne sais quel suave vertige, quelle douce ivresse, semblable à celle qui dut s'emparer du premier homme, lorsque à peine dégagé des ombres du néant, il ouvrit pour la première fois les yeux au milieu des splendeurs de l'Eden. Ce sentiment a un caractère si particulier, si personnel dans les œuvres de M. de Laprade, que nous n'hésitons point à dire qu'il s'est fait par ce côté là une place à part, même parmi les plus illustres. C'est par là que l'auteur de la Symphonie des Saisons et de la Symphonie alpestre a conquis parmi eux droit de cité. Goethe, Byron, Chateaubriand, l'auteur de Joeelyn ont rendu le sentiment de la nature avec une pénétration et une puissance inconnues jusqu'à eux. Il a été donné à M. de Laprade de lui prêter encore de nouvelles cordes non moins puissantes, non moins mélancoliques, et plus intimes, plus mystérieuses, plus profondes. Ce n'est pas le seul titre que pourrait invoquer le poète, si sa modestie ne lui faisait un devoir du silence ; mais ses actions rendront asssez hautement pour lui témoignage. En consacrant, par une éclatante élection, cette renommée intacte et glorieuse, l'Académie saura faire la part de son austère indépendance cl de son noble caractère, la part de ses aspirations sincères vers le bien et le beau idéal ; elle aura à cœur de récompenser, en même temps que le génie du poète, la vertu du citoyen. Exemple rare de nos jours, qu'il n'est point hors de propos de rappeler à ceux qui seraient tentés de le mettre en oubli ! Lorsque les astres poé- tiques qui ont brillé d'un si vif éclat à leur aurore, vont s'éloigant et s'éteignant peu à peu dans la nuit du matérialisme et dans le chaos de la démocratie, l'heureuse étoile de M. de Laprade, a su vaincre ces dangereuses aberrations : et il est doux, il est conso- lant de la voir scintiller solitaire et pure au milieu des ténèbres et des éclipses de notre temps. R. DE C.