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100                        DE L'OISIVETÉ
 la vigueur et la fécondité de l'intelligence ; et c'est parce qu'il
 est si peu d'hommes qui sachent se l'imposer librement,
 comme Alfieri, Buffon, Lavoisier, que la contrainte pro-
 fessionnelle est en général nécessaire.
    Il n'est pas jusqu'aux relations sociales auxquelles la vie
 de loisirs n'apporte qu'un tribut secondaire. Les salons dis-
 tingués, honneur de l'esprit français, n'ont pas eu seulement
pour hôtes une société inoccupée. Ils ont réuni sans doute
des grands seigneurs et des femmes remarquables par leur
naissance comme par leur esprit ; mais les hommes qui con-
sacraient au culte des lettres, une vie appliquée et sérieuse
y ont toujours tenu une grande place. Je parcours la liste
des habitués de l'hôtel de Rambouillet, à l'époque où il con-
tribuait a épurer la langue, a former le goût, et où la pru-
derie et l'affectation ne l'avait pas encore fait succomber
sous la verve satirique de Molière ; j'y trouve les noms de
Racan, de Chapelain , de Voiture, qui étaient les beaux es-
prits et non pas les opulents de l'époque.
    Tel a été aussi le caractère des salons célèbres du dernier
siècle ; et parmi les hommes d'élite qui, de notre temps, se
réunissaient autour de Madame Récamier et formaient une
de ces sociétés que la France peut citer avec orgueil, le plus
grand nombre n'était-il pas, comme Chateaubriand, Bal-
lanche , Ampère , exclusivement voués aux travaux de
l'esprit ?
    Ainsi, de quelque côté que nous jetions nos regards, quels
que soient les motifs que nous examinions, aucune raison
solide ne vient justifier a nos yeux les jeunes gens qui se
laissent aller à une vie oisive : nous ne voyons dans leur
éloignement des professions et dans leur abstention de tout
travail régulier que la stérilité d'intelligences qui, ayant été
cultivées dès le bas âge, pouvaient contribuer puissamment
a servir et a honorer le pays ; leurs idées sur l'humiliation
qui résulterait du travail, et leurs efforts pour sortir du rang
où ils sont nés ne nous apparaissent que comme un tribut
payé a des préjugés vulgaires et comme le déclassement
puéril d'une bourgeoisie qui devait chercher ailleurs les ga-
ranties de sa dignité. Enfin , il n'est pas jusqu'aux avantages
des loisirs pour la culture de l'esprit et l'ornement de la so-
ciété, qui ne se présentent à nous comme un de ces mirages
trompeurs qui s'évanouissent à mesure qu'on en approche.
Maisil ne suffitpas d'avoir mis en évidence la vanité des motifs
qui dirigent les jeunes hommes que nous voulons éclairer :