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DON JUAN. - 47 dément attachée a ses croyances religieuses, assez naïve encore pour qu'une légende nationale revête à ses yeux le caractère de la vérité, et nous concevrons facilement quelle impression doit produire Don Juan s'abîmant dans les flam- mes sous les yeux des spectateurs ; et lorsque Calalinon, épouvanté de la mort de son maître, annonçait qu'il allait se faire moine pour songer uniquement au salut de son âme, lout l'auditoire ému, et effrayé, sentait que la comédie n'était que le dogme mis en action ; que Don Juan damné et croyant, l'avertissait par sa fin terrible que la foi ne suffit pas à qui ne conforme pas sa vie a ses croyances. Cette conclusion religieuse manque nécessairement à l'œuvre de Molière. Le théâtre, au XVIIe siècle, est une étude de caractères et non plus un enseignement ; il n'est pas l'auxiliaire de la chaire chrétienne, il n'est que le pein- tre fidèle des moeurs contemporaines. Et d'ailleurs, si Molière eût exposé aux regards du grand roi ces démons servant un si étrange festin dans une église, ne se fût-il pas écrié comme a la vue du fameux tableau de Téniers : Otez-moi ces magots. Quel sera donc l'intérêt de la pièce de Molière, si inférieure au point de vue de la conception légendaire et poétique, et si belle pourtant? Un mot va nous faire appré- cier la différence. Dans ce dénoûment imparfait, où la statue devançant on ne sait pourquoi l'heure fatale, se trouve tout à coup sous les pas de Don Juan pour l'entraîner avec elle dans l'abîme, Don Juan, sous l'étreinte de la main du Com- mandeur, ne pousse qu'un cri arraché par la douleur physi- que; il ne témoigne aucun repentir; il tombe frappé, mais non convaincu, athée jusqu'à son dernier soupir. C'est que le Don Juan de Molière a fait un pas de plus dans la voie du mal ; c'est un caractère nouveau ; il représente le liber- tinage uni a la révolte de l'intelligence, à l'abaissement du caractère, qui s'appuie sur l'incrédulité et s'abrite derrière l'hypocrisie. G.-A. HEINRICH. (fco fin au prochain numéro).