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                          PÉLOVONÈSE.                          491

d'un peuple qui secoue soudain le linceul du passé sous lequel
il semblait enseveli, et les chaînes d'une immense et puissante
oppression. Ces annales, dignes de la poésie épique , n'ont
laissé que de rares souvenirs dans la génération actuelle ; la
génération suivante ne les retiendra pas. Les rochers, les mon-
tagnes , les abîmes, la mer, le ciel bleu, témoins de chacune
des phases de ce poème accompli par des hommes dont quel-
ques-uns existent encore, ont un jour retenti du bruit des grandes
choses qui se passaient ; ils en ont refermé le secret dans leur
sein. Les héros de Souli, de Navarin, de Missolonghi, terrassant
avec leur petit nombre les Turcs innombrables, ne sont en rien
inférieurs aux demi-dieux mythologiques. Le récit de ces luttes
serait une sanglante et sublime Iliade; un Homère manque
pour le raconter. Heureux le poète qui parcourrait la Grèce en
rapsode, recueillant les débris épars de cette histoire, de la
bouche du vieillard qui y figura, du paysan qui les tient de son
père, ou de l'aveugle qui chante encore au carrefour des villes,
ou sur le fossé des routes, à l'endroit où des chemins se croi-
sent ! Mon guide commença enfin le récit suivant :
   « Le vieillard que vous avez vu se nomme Jean Stathas ; il
s'est rendu célèbre par ses exploits contre les Turcs , pendant
nos guerres de l'indépendance. Sa renommée et ses hauts faits
n'ont pas franchi les limites de la Morée, de laquelle il ne sortit
guère. Il naquit à Castro, petit village situé sur une de ces
montagnes élevées qu'on aperçoit dans la direction d'Àrgos. Une
vingtaine de chaumières , renfermant les membres d'une seule
famille, c'était tout le hameau. Jean Stathas n'avait autour de lui
que des frères, des enfants, des cousins, qui tous le regardaient
comme leur chef, parce que de bonne heure il avait pris sur eux un
ascendant irrésistible par sa force, son adresse, son intelligence,
et même par la mâle beauté de son visage. Ce petit hameau était
reculé si avant dans les montagnes, si dépourvu de tout ce qui
peut exciter la cupidité, qu'ils y vivaient tous ignorés et tran-
quilles, cultivant quelques champs autour de leurs habitations,
et faisant paître le troupeau clans de rares pêturages, parsemés
entre les rochers. L'oppression des Turcs ne les atteignait point.