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392               ÉTUDE SUK L'HISTORIEN GIBBON.
quand on a abdiqué tout principe de foi et de morale, qu'on en
est arrivé jusqu'à regarder le scepticisme comme le point le plus
élevé de la philosophie, alors , tout ce qui n'est grand que par
l'intelligence ou la vertu, doit paraître méprisable ; alors on se
retourne du côté de la matière, on en admire les proportions,
les mouvements, les effets. Dès que le monde cesse d'avoir un
esprit qui l'anime et le dirige, le monde n'est plus qu'une ma-
chine comme tant d'autres machines, dont le jeu peut étonner
les sens, non émouvoir l'ame. Telle est la philosophie de Gib-
bon, et cette philosophie glaciale l'établit dans une insensibilité
qui frappe le lecteur môme le moins attentif de son livre. Tout ce.
qui tient à l'ordre moral semble lui être indifférent. Des critiques
l'ont remarqué : « C'est surtout, dit M. Villemain , pour décrire
les triomphes matériels de la force brutale, que l'historien réserve
la pompe fastueuse de son langage. Il semble qu'il s'extasie quel-
quefois comme un historiographe de Tamerlan, en présence des
épouvantables exploits de ce destructeur (1). «Les tableaux d'inva-
sion et de conquête sont, en effet, les passages où le grand talent
de Gibbon se complaît et se déploie le plus largement. Comparez
à ces passages les endroits où il est question de la vie morale, des
luttes de la vérité avec l'erreur, du vice avec la vertu, vous les
trouverez faibles. L'écrivain qui vous charmait tout-à-l'heure
par les superbes magnificences de son style, devient tout à coup,
ici, froid, dissertatif, épilogueur : la manie de philosopher l'em-
porte, chez lui, sur le devoir de narrer. Nulle élévation dans les
idées , nul sentiment des nobles choses ; on voit qu'il manque
d'horizon et n'aperçoit que le côté le plus restreint des événe-
ments. Ces révolutions immenses qui ont changé la face de l'or-
dre social, seront le résultat des causes les plus mesquines.
Nous avons vu comment il traite l'origine du christianisme,
comme il la rapetisse et la dégrade. Eh bien ! il en agit de même
à l'égard de tous les faits par lesquels cette religion divine ma-
nifeste son action sanctifiante ou bienfaitrice. Que voit-il dans
cette vie cénobitique, si sublime dans son principe , si admira-


  (1) LitU'ralure au XVIUmt siècle, 2" éJil. i. 2, vers la fin.