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                ÉTUDE SUR L'HISTORIEN GIBBON.                 381

vive,uneintelligencequi conçoive rapidement, de l'à-propos,une
facilité d'élocution qui n'abandonne jamais la pensée, de l'audace
pour affronter les passions qui se déchaînent dans l'arène parle-
mentaire. Gibbon n'avait pas cette imagination, cette promptitude
de conception, -cet à-propos , cette facilité. Né pour la vie tran-
quille du cabinet, les scènes bruyantes du forum portaient le
trouble dans son ame. « La nature ni l'éducation, dit-il, ne
m'avaient point armé de l'intrépidité d'esprit et de voix (t). »
   Mais, ce qui fait par dessus tout l'orateur politique, ce sont
ces convictions ardentes, ce cœur qui se passionne pour les
grandes choses, ce patriotisme qui fait oublier à l'homme ses
intérêts personnels en face des intérêts du pays. Eh bien ! Gib-
bon n'avait pas ces convictions, ce cœur, ce patriotisme. Il avoue
lui-même « qu'il était entré au Parlement sans patriotisme, que
toutes ses vues se bornaient à la place commode et honnête de
lord conseiller du commerce (2), » place qu'il garda pendant trois
ans, et perdit à la chute de lord North.
   Gibbon sentait profondément l'infériorité de ses facultés ora-
toires , et n'osa jamais entrer en lice. « Dans le cours de nos
affaires d'Amérique, écrivait-il à Mme Gibbon, j'ai eu quelque-
fois envie de parler ; mais, quoique je me sentisse assez bien
préparé quant à la matière, j'ai craint de m'exposer quant à la
manière, et je suis demeuré à ma place sain et sauf, mais sans
gloire. » 11 avait raison .- des périodes inspirées par une froide
rhétorique n'auraient fait qu'une maigre figure à côté des im-
provisations chaleureuses de Barré et de lord Chatam ; elles au-
raient nui à la renommée de l'écrivain qui se montrait alors sur
l'horizon. Gibbon, du reste, réduit au modeste rôle d'obser-
vateur, dans la Chambre, a noblement rendu justice à la supé-
riorité de ses' adversaires.
   Ce qui empêchait Gibbon de réussir à la tribune, lui nuisait
également dans la société. Sa conversation était instructive, mais
dépourvue de naturel. Il ne captivait pas, il n'entraînait pas ;

  (1) Mémoires, page 205.
  (2) Lettre à M. Deyverdun.