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174                   H. W. LONGFELLOW.
gue et étrange, qu'à minuit une horde de pâles spectres assié-
geait la ville de Prague.
   « Près des flots impétueux de la Moldau, la lune blafarde au-
dessus d'elle, elle était là, comme dans un rêve terrible, l'ar-
mée des morts.
   « Blanc comme le brouillard de la mer, poussé vers les côtes,
paraissait le camp des spectres, au milieu duquel coulait le fleuve
avec un murmure triste et sourd.
   « On n'y entendait nulle autre voix, nul autre bruit, nul son
de tambour ou nul pas de sentinelle. Les bannières de brume
embrassaient l'atmosphère, comme les nuages s'enlacent aux
nuages.
   « Mais lorsque la cloche de la vieille cathédrale annonçait la
prière du matin, les pavillons blancs se dépliaient et flottaient
sur l'air agité.
   « Au fond de la large vallée fuyait au loin et rapide l'armée
épouvantée. L'étoile du matin se levait brillante ; la funèbre lé-
gion était redescendue au tombeau.
   « J'ai lu dans le cœur merveilleux de l'homme, parchemin
étrange et mystique, qu'une armée de fantômes blêmes et dé-
vastés assiège l'âme humaine.
   « Campées sur les bords du torrent rapide de la vie, dans la
lumière vaporeuse de l'imagination, des formes et des ombres
géantes brillent, présage sinistre ! à travers la nuit.
    « Sur ce champ de bataille de minuit, on voit le camp des
spectres, au milieu duquel, avec un murmure triste et sourd,
coule le fleuve de l'existence.
    « On n'entend nulle autre voix, nul autre bruit dans l'armée
du tombeau ; nul qui-vive n'ébranle les airs, mais seulement le
choc précipité des vagues humaines.
    « Et lorsque la cloché solennelle et vibrante invite l'âme à
prier, les fantômes de minuit cèdent à l'influence du charme
 sacré et l'on voit les ombres s'effacer.
    « Au fond de la large vallée des larmes, fuit au loin le camp
 des spectres. La foi brille semblable à l'étoile du matin. Nos
 terreurs funèbres sont redescendues au tombeau. »