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 complète qui existe de la lutherie italienne, est chose digne
  d'admiration.
     Un beau jour arriva à Lyon cet Italien., Son extérieur était
 ignoble ; la nature l'avait pourvu d'une figure basse et d'une
 structure informe. Il a la face plate, courte, jaunâtre, les yeux
 petits et enfoncés, la bouche jusqu'aux oreilles , la voix gron-
 deuse; par ma foi, sa tête ressemble à une coquille de basse,
 et ses jambes à des manches de contrebasse. Lorsqu'il vint à
Lyon , à peine prononçait-il quelques mots de français. Il por-
 tait au bout d'une perche, comme un marchand de mort-aux-
 rats, quatre ou cinq violons achetés en Italie, qu'il voulait re-
vendre en France. Depuis il renouvela si fructueusement le
voyage , que chaque fois la collection augmentait et qu'aujour-
d'hui il arrive avec des caisses toutes pleines d'instrumens.
    Et ne lui achète pas qui veut! un marché avec lui devient
aussi difficile à régler que la créance américaine ; et surtout gar-
dez-vous j par ruse d'acheteur, de déprécier le chef-d'œuvre que
vous marchandez ; mieux vaudrait blasphémer Dieu devant le
grand inquisiteur d'Espagne !
    Mais si vous voulez vous bien loger dans son esprit, mettez-
vous à genoux devant un beau Stradivarius; alors les aspérités
de cet ours italien disparaîtront, sa face bourrue s'épanouira,
sa langue deviendra jaseuse, il vous laissera pénétrer dans les mys-
tères qu'il a recueillis à Crémone , à Brescia ; car dans ces villes,
berceaux de la lutherie , il a interrogé tout ce qui en avait sou-
venir ; maintes fois il est entré dans la boutique qu'occupa Stra-
divarius, il a touché un rabot que sa main maniait il a causé
avec des gens qui ont vu Joseph Guarnerius, il a pénétré dans
les galeries d'instrumens des princes et des ducs, et là, fouillant
les étiquettes, étudiant les formes, comparant ce qu'il avait vu
 avec ce qu'il voyait ; il a patiemment construit la généalogie de
sa religion à lui. Et moi j'ai tâché de lui arracher les trésors pro-
fondément enfouis dans sa mémoire; il m'a fallu l'exploiter
comme une mine, avec la pioche et le pétard, et encore n'ai-je
pu lui enlever que par lambeaux les secrets de son expérience.
    Jusqu'à présent, nous ne connaissions en France des anciensflu-
thiers italiens que les célébrités de premier ordre, telles que Amati,