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104 SULLY-PRUDHOMME Tu sens par la raison le Credo contesté, Et lutteur isolé dans l'arène infinie, Tu combats, une main de ton compas munie, L'autre cachant ta plaie où le dogme est resté. Que n'es-tu né plus tôt concitoyen d'Euclide ! Ou plus tard, dans notre âge où tout le ciel se vide De ses dieux obscurcis pour s'emplir de soleils ! Nous te verrions, exempt d'une foi qui torture, Fier penseur, présider sans trouble à nos réveils, Et, l'âme libre et saine, affronter la nature (9). Pascal, aujourd'hui comme au xvne siècle, répondrait : « le silence de ces espaces infinis m'effraye », et pour les animer il y placerait la toute-puissance divine. Et le poète moderne ne reconnaît-il pas éloquemment que là où Dieu manque, l'humanité éperdue ne sait où se prendre, et im- plore ce secours providentiel dont elle ne peut se passer. En vain le docteur écrit : Renonce à la prière aussi bien qu'au blasphème. Le cœur reprend ses droits, et trois strophes éloquentes nous expriment sa tristesse et ses regrets : De tous les vivants de la terre, Le plus parfait, le dernier né, L'homme se sent abandonné ; Son culte lui reste un mystère. Tandis que la faux et le frein Vous font haïr sa tyrannie, Il épuise, lui, son génie A découvrir son Souverain. (9) Majora canamus, sonnet à Pascal.