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SULLY-PKUDHOMME ET LA POÉSIE PHILOSOPHIQUE 97 Mais la légère meurtrissure, Mordant le cristal chaque jour, D'une marche invisible et sûre En a fait lentement le tour. Son eau fraîche a fui goutte à goutte, Le suc des fleurs s'est épuisé ; Personne encore ne s'en doute, N'y touchez pas, il est brisé. Souvent aussi la main qu'on aime, Effleurant le cœur, le meurtrit; Puis le cœur se fend de lui-même; La fleur de son amour périt ; Toujours intact aux yeux du monde, Il sent croître et pleurer tout bas Sa blessure fine et profonde : Il est brisé; n'y touchez pas (1). Une pièce beaucoup moins connue ne donne pas au sentiment de la mélancolie une expression moins fine et moins gracieuse. Je rêve et la pâle rosée Dans les plaines perle sans bruit, Sur le duvet des fleurs posée Par la main fraîche de la nuit. D'où viennent ces tremblantes gouttes? Il ne pleut pas, le temps est clair. C'est qu'avant de se former, toutes Elles étaient déjà dans l'air. D'où viennent mes pleufs? Toute flamme, Ce soir, est douce au fond des cieux ; C'est que je les avais dans l'âme Avant de les sentir aux yeux. (1) La Vie intérieure. Le Vase brisé. N° 2. — Février 1887.