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68            LE COMPARTIMENT DES FUMEURS

tances je l'ai précédemment rencontrée. J'avais certes fait,
sans nulle arrière-pensée, le sacrifice de ira vie ; mais
maintenant il me paraît impossible que j'aille tomber sous
les balles, à quelques cents pas de là, et je me cramponne
à l'idée de vivre, avec la frénésie du naufragé qui vient
 d'entrevoir une planche de salut.
    « Le curé m'apprend alors que la baronne est la femme
du général; venue pour quelques jours rejoindre son mari
dans son commandement, elle va s'en retourner, parce
que le baron est appelé à quitter son poste stationnaire et à
se porter plus avant. Quant aux espérances que me fait
concevoir cette reconnaissance, il n'ose, par délicatesse,
 me les arracher brusquement, mais je sens bien à son ho-
chement de tête, qu'il ne partage guère ma confiance. Il
 accepte, toutefois, de se rendre auprès de la baronne, et
 s'éloigne en toute hâte, car le temps presse. Pour moi, je
 me laisse tomber sur un banc, en me voilant les yeux de
mes deux mains.
    « Combien de temps restai-je ainsi ? Je l'ignore. Comme
 à travers un songe, j'entendais, à ma porte, le pas des sen-
 tinelles, et, dans le jardin, le cri des moineaux qui se
 lutinaient, mis en bonne humeur par le soleil d'une belle
 après-midi d'hiver. Le croirais-tu ? J'aurais fini par m'as-
 soupir, si le bruit de la porte ne m'avait fait tressauter :
 c'était le curé qui revenait.
    « Rien qu'à la façon dont il m'embrassa, je compris que
sa mission n'avait point complètement échoué. Il avait, en
effet, trouvé la baronne auprès du général. Ma cause n'était
pas facile à plaider, moins encore à gagner ; mais la
 baronne avait au moins obtenu qu'il serait sursis à mon
 exécution jusqu'au lendemain, après son départ.
     « Il est à croire que la nuit qui porte conseil influença